lundi 16 janvier 2012

XVI. Dessin, Sculpture et Musique, Chronologie de Leur Prohibition



A. Introduction :

Analysons les sources islamiques fondatrices touchant le dessin, la sculpture et la musique. Il est bien ancré dans les esprits via tous les ouvrages de jurisprudence, les manuels religieux, ouvrages d'exégèse et autres que les représentations figurées sont tenues pour strictement prohibées en islam. Nous pouvons lire que le Messager aurait dit que les Anges n'entrent pas dans les maisons où il y a des représentations figurées, que leurs réalisateurs seront maudits et que tant qu'ils ne leur donneront pas de vie ils seront éternellement condamnés à l'enfer. Quoi que plusieurs récits nous sont parvenus avec de très nombreuses variantes, nous voyons que ce tabou se fonde en réalité sur quatre récits fondateurs historiques précis. Quels sont ces événements ayant conduit les savants à la prohibition formelle des représentation figurées ?



Le Prophète condamnait la vénération des Saints dans les Eglises sans proprement comdamner tout dessin.



B. Evénements fondateurs :

1) Un jour, Aïcha employa un rideau décoré de dessins de chevaux à l'entrée de sa chambre dans la Grande Mosquée de Yathrib. Le Prophète voyant cela lui dit : "Nous n'avons pas été commandé de décorer les pierres et le ciment" en guise de mécontentement. Aïcha rapporte avoir sur ce découpé ce rideau et fabriqué avec des coussins auxquels le Prophète s'appuyait chez-elle sans faire d'autre reproche. (Muslim.)

حَدَّثَنَا إِسْحَاقُ بْنُ إِبْرَاهِيمَ، أَخْبَرَنَا جَرِيرٌ، عَنْ سُهَيْلِ بْنِ أَبِي صَالِحٍ، عَنْ سَعِيدِ، بْنِ يَسَارٍ أَبِي الْحُبَابِ مَوْلَى بَنِي النَّجَّارِ عَنْ زَيْدِ بْنِ خَالِدٍ الْجُهَنِيِّ، عَنْ أَبِي طَلْحَةَ الأَنْصَارِيِّ، قَالَ سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم يَقُولُ ‏"‏لاَ تَدْخُلُ الْمَلاَئِكَةُ بَيْتًا فِيهِ كَلْبٌ وَلاَ تَمَاثِيلُ‏"‏‏.‏ قَالَ فَأَتَيْتُ عَائِشَةَ فَقُلْتُ إِنَّ هَذَا يُخْبِرُنِي أَنَّ النَّبِيَّ صلى الله عليه وسلم قَالَ ‏"‏لاَ تَدْخُلُ الْمَلاَئِكَةُ بَيْتًا فِيهِ كَلْبٌ وَلاَ تَمَاثِيلُ‏"‏‏.‏ فَهَلْ سَمِعْتِ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم ذَكَرَ ذَلِكَ فَقَالَتْ لاَ وَلَكِنْ سَأُحَدِّثُكُمْ مَا رَأَيْتُهُ فَعَلَ رَأَيْتُهُ خَرَجَ فِي غَزَاتِهِ فَأَخَذْتُ نَمَطًا فَسَتَرْتُهُ عَلَى الْبَابِ فَلَمَّا قَدِمَ فَرَأَى النَّمَطَ عَرَفْتُ الْكَرَاهِيَةَ فِي وَجْهِهِ فَجَذَبَهُ حَتَّى هَتَكَهُ أَوْ قَطَعَهُ وَقَالَ ‏"‏إِنَّ اللَّهَ لَمْ يَأْمُرْنَا أَنْ نَكْسُوَ الْحِجَارَةَ وَالطِّينَ"‏‏.‏ قَالَتْ فَقَطَعْنَا مِنْهُ وِسَادَتَيْنِ وَحَشَوْتُهُمَا لِيفًا فَلَمْ يَعِبْ ذَلِكَ عَلَىَّ

abu Talha al-Ensari a rapporté : “Le Messager a dit : 'Les Anges n'entrent pas dans les maisons où se trouvent un chien ou une image. Le transmetteur Zayd ibn Khalid commenta : “Sur ce je me suis rendu chez Aïcha demander : abu Talha m'a rapporté que le Messager a dit : 'Les Anges n'entrent pas dans les maisons où se trouvent un chien ou une icone, as-tu entendu cela du Prophète ? Aïcha répondit : 'Non je n'ai pas entendu cela venant du Prophète, mais je vais te rapporter un autre incident, j'ai un jour accroché à l'entrée depuis la Mosquée vers ma chambre un rideau avec des franges comportant des dessins. Et je constatai le mécontentement du Prophète à sa vue qui arracha le rideau et dit : − Allah ne nous a pas commandé d'habiller les pierres et le ciment.'. Aïcha ajouta : 'J'ai découpé le drap et fabriqué deux coussins, que j'ai bourrés de tiges de dattier. Le Messager je m'a jamais fait de reproche à ce sujet." (Muslim ; abu Dawud.)

Dans d'autres variantes de ce récit nous lisons : "A chaque prière ces images me rappellent le monde"; "Les Anges n'entrent pas là où figurent des dessins", "au jour du Jugement ceux qui dessinent cela seront invités à les animer de vie, ce dont ils seront incapables et demeureront dans le feu", ou sans explication de son mécontentement. Ces commentaires sont des ajouts postérieurs au récit originel : ne pas avoir été commandé de décorer les murs de la mosquée.


La porte de la chambre de Aïcha donnait directement sur la cour intérieure de la salle de prières de la Mosquée du Prophète.


2) Un jour un chiot entra dans la chambre d'Aïcha et Gabriel ne vint plus visiter Muhammad. Jusqu'à ce que Muhammad trouve le chiot et le sorte de la chambre et alors l'Ange arriva. Cet incident fut fusionné avec le récit précédant par abu Talha conduisant à la croyance que les anges n'entrent pas dans une demeure où figure une image. Pourtant, dans le récit sus-mentionné, Aïcha précise ne pas avoir été témoin d'un tel événement. Autrement dit le fait que Gabriel ne vienne pas n'est pas lié à un interdit sur les images. Ce récit a évolué au gré de sa transmission, au point que Muslim rapporte le récit du chiot selon ibn Abbas via sa tante Maymuna, or ce récit est chadh et improbale. Que le même incident de Gabriël interrompant ses visites survienne trois fois est absurde : une fois avec Aïcha sans reproche sur les images, une fois avec Aïcha lié à un chiot et les images, une fois avec Maymuna lié à un chiot et les images. En outre le récit d'Aïcha est formel : à l'intérieur de sa chambre les coussins comportant des dessins étaient utilisés par le Prophète.


3) Le jour de la prise de la Mecque, le Prophète vit des images dans la Ka'ba et s'abstint d'y pénétrer demandant de les effacer au préalable. 

Abdallah ibn Abbas rapporte : Le Prophète rentrait dans la maison, y voyant des dessins il s'abstint d'y entrer et commanda de les détruire. Il y vit des représentations d'Abraham et Ismail avec des baguettes de divination et dit : "Que Dieu les punisse. Vraiment, ils n'ont jamais pratiqué d'oracle." (al-Bukhāri, Anbiya, Hajj, Maghazi.)

حَدَّثَنَا إِبْرَاهِيمُ بْنُ مُوسَى، أَخْبَرَنَا هِشَامٌ، عَنْ مَعْمَرٍ، عَنْ أَيُّوبَ، عَنْ عِكْرِمَةَ، عَنِ ابْنِ عَبَّاسٍ ـ رضى الله عنهما أَنَّ النَّبِيَّ صلى الله عليه وسلم لَمَّا رَأَى الصُّوَرَ فِي الْبَيْتِ لَمْ يَدْخُلْ، حَتَّى أَمَرَ بِهَا فَمُحِيَتْ، وَرَأَى إِبْرَاهِيمَ وَإِسْمَاعِيلَ ـ عَلَيْهِمَا السَّلاَمُ ـ بِأَيْدِيهِمَا الأَزْلاَمُ فَقَالَ ‏ "‏قَاتَلَهُمُ اللَّهُ، وَاللَّهِ إِنِ اسْتَقْسَمَا بِالأَزْلاَمِ قَطُّ"‏‏


D'autres variantes de ce récit disent : “Au jour de la prise de la Mecque, le Prophète pénétrant dans la Ka'ba vit les images d'Abraham, Ismaël et de Marie et dit : −Faites attention ! Que fait ce peuple de Qoraïche ? Ils savent certes très bien que les Anges n'entrent pas là où figurent des images. Ils représentent Abraham avec des flèches d'oracles, or jamais il n'a fait usage de celles-ci..

La partie barrée est clairement un rajout postérieur un mudraj'ul matn. Comment donc Qoraïche aurait entendu une telle chose, qui plus est avant de réaliser ces fresques...

4) Ummu Habiba et Ummu Salama retournés d'Abyssinie contaient la beauté au Prophète des fresques d'une certaine basilique du nom de Maria. 

Aïcha rapporte : “Lorsque le Messager tomba malade, l'une des épouses lui parla d'une certaine église nommée Maria qu'elle a vue en Abyssinie. Ummu Salama et Ummu Habiba avaient émigré en Abyssinie. Elles racontèrent donc la beauté de cette église et ses fresques. Le Prophète redressa la tête et leur dit : −Ceux-ci, lorsqu'un saint mourait, les vénéraient en bâtissant dessus une église qu'ils décoraient de ces fresques. Ce sont au jour du Jugement les pires des gens tourmentés." ." (al-Bukhāri, Muslim.)

 

Cet événement est rapporté selon ibn Mas'ud ainsi : “J'ai entendu le Messager disant : 'Les pires des personnes les plus tourmentées en enfer seron les dessinateurs d'images.'.” (al-Bukhāri, Nasai.)

Le même récit est repris par ibn Umar sous cette forme : “Le Messager dit : En faisant ces images, ces dessinateurs seront tourmentés. On leur dira : 'Allez, animez ces images.” (al-Bukhāri, Muslim, Nasai.)

Cette remarque du Prophète au sujet des églises a été amplifiée avec les autres récits et les débats entre disciples du Prophète, et formé un tabou encore augmenté par le commandement à Ali de démolir les idoles. ibn Hajar aussi souligne ceci. Or, il est question de condamner la vénération des saints. L'idée du "châtiment le plus dûr aux dessinateurs" dérive de cet incident. Dans certaines variantes on lit "donnez-leur la vie". Cet ajout est un commentaire rajouté qui n'émane clairement pas du Prophète. Du premier incident découle l'idée de tabou de "décorer les maisons" et "accrocher des tapis aux murs". En sorte que finalement, certains en déduisirent que le Messager à maudit les dessinateurs, qui est une version interprétative de ces mêmes événements.



C. Des Versets Contraires à Ce Tabou :

(Cor. 3:49) : “Il sera le messager aux enfants d’Israël, [et leur dira] : 'En vérité, je viens à vous avec un signe de la part de votre seigneur. Pour vous, je forme de la glaise comme la figure d’un oiseau, puis je souffle dedans: et, par la permission d’Allah, cela devient un oiseau. Et je guéris l’aveugle-né et le lépreux, et je ressuscite les morts, par la permission d’Allah. Et je vous apprends ce que vous mangez et ce que vous amassez dans vos maisons. Voilà bien là un signe, pour vous, si vous êtes croyants!  ”

(Cor. 34:13) :  Ils exécutaient pour lui ce qu’il voulait : sanctuaires, statues, plateaux comme des bassins, et marmites bien ancrées. - 'Ô famille de David, œuvrez par gratitude', alors qu’il y a eu peu de mes serviteurs qui sont reconnaissants.”

Si les images étaient si sévèrement tabou, Salomon et Jésus n'auraient pas réalisé ou commendé de réaliser des statues. Ce qui conforte clairement notre analyse critique présente au sujet de l'établissement de cet interdit après le décès du Prophète.



Il est admis que le Temple de Salomon était décoré de statues (Cor. 34:13), ce qui exclut un châtiment aussi sévère à l'encontre de leur réalisateurs. De même que la frabrication par Jésus d'oiseaux de glaise (Cor. 3:49). 


"Si on vous transmet une chose comme venant de moi, référez-la au Livre d'Allah, si il y est conforme prenez, sinon ce n'est pas vraiment de moi." [1]

D. Le Statut de la Musique en Paléo-Islam

La question de la musique en islam a toujours suscité des débats, souvent influencés par des interprétations postérieures et des contextes socio-culturels. Pourtant, lorsqu'on revient aux sources du Paléo-Islam – c’est-à-dire aux pratiques et enseignements du Prophète Muhammad et de ses compagnons – on ne trouve aucune interdiction explicite de la musique en tant que telle.

Le Hadith souvent cité : une prophétie et non une interdiction

L'unique hadith sahih souvent utilisé pour prétendre une prohibition de la musique est celui qui mentionne les événements de la fin des temps :

"Certains de ma communauté considèreront comme licites la fornication, la soie (pour les hommes), le vin et les instruments de musique." (Al-Bukhârî, 5590)

Toutefois, une lecture attentive montre que ce hadith décrit une scène où des hommes et des femmes se réunissent pour écouter de la musique tout en consommant des substances enivrantes. Il ne s'agit donc pas d'une interdiction catégorique de la musique, mais plutôt d’une prophétie sur un certain mode de vie décadent. Ibn Hazm (994-1064) lui-même [2], grand juriste andalou, a rejeté l’idée que ce hadith puisse interdire la musique en général, arguant qu’il s’agissait d’une description et non d’une prescription légale.

Les exemples du Prophète : une acceptation de la musique et de la danse

Plusieurs épisodes de la vie du Prophète démontrent qu'il ne considérait pas la musique et la danse comme illicites.

  1. Les Abyssins dansant dans la mosquée
    Un jour, des Abyssins sont venus à la Grande Mosquée de Médine pour présenter une danse traditionnelle avec des lances. Non seulement le Prophète n’a pas interdit cette manifestation, mais il a même ramené Aïcha pour qu’elle puisse les observer et apprécier le spectacle.

  2. Les jeunes femmes chantant et dansant
    Lors d’une fête (probablement l’Aïd), des jeunes femmes chantaient et dansaient à proximité du Prophète. Abu Bakr, en les voyant, les a réprimandées, mais le Prophète l’en a empêché en disant : "Laissez-les, car chaque communauté a son jour de fête, et c’est notre jour de fête." (Sahih al-Bukhari, 952)

  3. Les chants et poèmes pour motiver les caravanes
    Lors des déplacements du Prophète avec ses compagnons, il était courant que des poèmes et des chants rythment la marche des caravanes afin d’encourager les hommes et les chameaux à avancer. Ces chants n’étaient pas considérés comme un mal, mais au contraire comme un outil utile et motivant.

L'interdit porte sur le contexte, pas sur la musique elle-même

Ce que les textes islamiques dénoncent, ce ne sont pas les instruments ou le chant en soi, mais plutôt les contextes où la musique s’accompagne d’éléments répréhensibles (débauche, ivresse, propos immoraux, etc.). La musique en tant qu’art et moyen d'expression n’a jamais été condamnée par le Prophète.

Ainsi, en revenant au Paléo-Islam, on comprend que la musique était une pratique normale, acceptée et même encouragée dans certaines circonstances. L’interdit repose non sur l’acte lui-même, mais sur l’usage qui en est fait et l’environnement dans lequel il se manifeste.



E. Conclusions :

Le Prophète condamna la construction d'églises sur les dépouilles des saints en vue de les vénérer, il a empêché d'accrocher un rideau avec des dessins de chevaux dans l'enceinte de la Grande Mosquée en tolérant leur usage dans les chambres annexes, et fait effacer les icones de prophètes de l'intérieur de la Ka'ba. Or, son silence sur l'usage de ces images dans la chambre d'Aïcha prouve que ceux-ci n'étaient pas prohibés dans les maisons. Si les dessinateurs d'images étaient tourmentés en enfer, Jésus n'aurait pas formé d'oiseau de glaise, et si ceux-ci étaient commandés de donner vie à leurs figurations, Salomon n'aurait pas fait sculpter de statue. Par conséquent il devient évident que les variantes de ces hadiths incompatibles avec le Coran doivent être triés. De fait une fois triés nous identifions les récits initiaux et comprenons le processus de transformations [note]. Voici la conclusion à laquelle nous arrivons à l'analyse systématique de ces récits.








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[1] Haythamī, Majmāu’z-Zawā'aid, 170; Suyūtī, Miftah, 16.

[2] Ibn Hazm souligne plusieurs points techniques pour rejeter l’interdiction généralisée de la musique à partir de ce hadith : (1) Hadith Ahad : Il s’agit d’un hadith isolé (ahad), ce qui signifie qu’il n’a pas été transmis par un grand nombre de personnes et ne peut donc pas établir une règle absolue en matière légale. Dans la jurisprudence islamique, un hadith ahad ne suffit pas à établir une interdiction catégorique, surtout dans des domaines aussi vastes que la culture et les arts. (2) Hadith Mu'anan : Ce hadith est également mu‘anan, c’est-à-dire qu’il contient des transmissions où l’expression "‘an fulan ‘an fulan" ("untel rapporte d’untel") est utilisée, ce qui peut poser un problème de chaîne de transmission si le lien entre les rapporteurs n’est pas direct ou vérifié avec certitude. (3) Hadith Contextuel : Ibn Hazm rappelle que le hadith ne parle pas de la musique en soi, mais d’une situation où elle est associée à la débauche et à l’ivresse. Il en conclut que ce n’est pas la musique qui est blâmable, mais plutôt son usage dans un cadre de corruption morale. En résumé, Ibn Hazm considère que ce hadith ne peut pas servir de base à une interdiction universelle de la musique. Son analyse repose sur une rigueur méthodologique qui empêche d’en faire un argument absolu contre la musique, surtout lorsqu’on observe que le Prophète a toléré et même encouragé certaines formes musicales et artistiques dans des contextes appropriés.





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