lundi 9 janvier 2012

XXII. Homosexualité, Coran et Traditions





A. Introduction


Plusieurs travers ont influencé la mise en place du droit musulman. Un premier biais aura vu le jour après la compilation canonique du Coran sous Uthman ibn Affan (579-656). En effet, la vulgate d'Uthman ne comportant aucun signe diacritique, plusieurs déchiffrements étaient possibles et le temps de l'élaboration d'une réforme de l'écriture assurant une lecture plus stable, de nombreuses formes de déchiffrement avaient vu le jour. Une dizaine de ces récitations furent canonisées après la réforme de l'écriture, induisant encore une dérive qui insensiblement éloignait l'islam de sa forme primitive.

Les règles imposées pour fixer dix variantes canoniques furent convenues ainsi : 1- la conformité au ductus consonnantique défaillent du codex d'Uthman, 2- la fiabilité de la chaîne des transmetteurs, 3- la conformité à l'idiome de Qoraïche. Or, le critère de conformité à l'idiome de Qoraïche de plusieurs siècles après le Prophète allait rendre certains passages du Coran indéchiffrables, générant de longues pages énumérant les divergences de points de vues et tentatives d'interprétations n'aboutissant à aucun consensus. La langue arabe consistait en effet, du vivant du Prophète Muhammad, en un groupe linguistique hétéroclite éclaté, sans règle grammaticale unifiée et dont seul l'usage était la règle. Le Coran consistant en un arabe liturgique contenant des termes syriaques, hébreux et autres, ainsi qu'il use de règles de grammaire dérivées ou soeurs à celles de ces langues.



(7:80) "Et Loth, dit à son peuple : « Vous livrez vous à cette turpitude que nul, parmi les mondes, n'a commise avant vous ? Certes, vous assouvissez vos désirs charnels avec les hommes au lieu des femmes ! Vous êtes bien un peuple outrancier. »"


Du temps de Harun al-Rachid (763-809), l'abondance des variantes de hadiths et la richesse des méthodes d'approches jurisprudentielles ayant conduit la jurisprudence à devenir très hétérogène et contenant de nombreuses divergences de points de vue fut réduit à quatre écoles de jurisprudence. Car une personne agissant suivant un avis d'un savant pouvait être condamnée par un autre savant d'un avis contraire. Sufyan al-Thawri, Hassan al-Basri, et d'autres fondateurs d'écoles jurisprudentielles et leurs décrets tombèrent donc dans l'oubli presque total, produisant encore un biais très influent. D'autant plus influent que ces quatre écoles étaient fondées par des savants s'étant fréquentés, et réduisant donc l'ampleur de la représentativité des différentes écoles existentes. Tandis que parmi les Sahabas, et chez les trois premières générations, une grande richesse de points de vues était tolérée, l'islam primitif se muait ainsi en une version sclérosée et réduite de façon systématique.

L'un des travers les plus fatidiques encore après cette canonisation de quatre écoles sunnites, consistera en l'approche Acharite de la notion du bien et du mal. Abu'l Hassan al-Ach'ari (873-935) considérant les notions de bien et de mal comme inexistantes, et ne devenant bien ou mal que de par les commandements divins. Cette idée philosophiquement soutenue lors des débats avec les rationnalistes mutazélites exerça une influence terrible dans le domaine de l'exégèse et de la jurisprudence. En effet, il devenait dès lors inutile de chercher les causes profondes des commandements coraniques ou du Prophète. Or, la transmission jusqu'alors des hadiths de façon interprétative avait généré une importante croissance numéraire des hadiths et produit des variantes en grand nombre, et la conception de l'inutilité de rechercher la causalité des décrets et commandements, conduisit à se servir des variantes qui étaient arrangées au fil de la transmission des hadiths.

L'influence Mutazélite conduisit à l'important soutient de l'Acharisme, qui fît que la plupart des savants suivirent l'école acharite. L'abandon de la recherche à contextualiser les versets et hadiths, a enfermé le droit musulman dans les anciens décrets déjà installés jusqu'alors, empêchant la recherche de toute nouvelle réforme. ibn Hazm (994-1064) et l'école littéraliste chercha à pousser le processus encore plus loin, cherchant à fonder toute la jurisprudence uniquement sur l'apparence littérale des hadiths autrefois transmis de façon interprétative. Tandis que d'un autre côté, des savants comme Chatibi (m.1388) cherchaient à élaborer une méthode fondée sur la recherche des finalités (المقاصد) en termes d'avantages et d'inconvénients (المصلحة والمفسدة) des commandements coraniques ou prophétiques. Or la tendance à une lecture superficielle, loin de chercher à contextualiser les décrets, poussait les savants à invoquer, pour conforter les avis de leurs prédécesseurs, tout récit s'y conformant, même au prix de les puiser parmi les hadiths interrompus, forgés ou même sans fondement connus. Cette approche superficielle conduisit à puiser dans les récits disponibles afin de rédiger les ouvrages de biographie, d'exégèse ou de jurisprudence, sans tri ni critique interne ou externe. Ainsi, rechercher l'islam primitif en arrivait à être perçu comme une opposition pure et nette à l'islam, et était considéré très sévèrement par beaucoup, et condamné strictement. Mais nous allons tout-de-même nous appliquer à une analyse critique que nécessite l'esprit scientifique et l'intégrité intelletcuelle.



B. L'Homosexualité dans le Coran et les Hadiths Sains :

Il est généralement soutenu que l'homosexualité serait condamnée dans le Coran. Or cela n'est pas exact [note]. Le récit du peuple de Loth est en effet invoqué pour soutenir cette conviction, tandis que la lecture objective du récit coranique montre que le peuple de Loth n'a pas été détruit pour raison d'homosexualité, et que cette idée est erronée à plusieurs égards.


B-1. La raison de la souplesse touchant l'homosexualité féminine :

Nous pouvons remarquer que le droit musulman est plus souple vis-à-vis de l'homosexualité féminine que dans le cas de cette pratique entre mâles. L'absence de coït dans les rapports lesbiennes conduit en effet les jurisconsultes à moins de rigueur à leur encontre. Tandis que les contacts physiques entre mâles sont considérés avec une grande sévérité. Il ressort en fait que, du fait que le Coran évoque l'abandon des femmes chez les mâles du peuple sodomite, et du fait de l'absence d'un interdit fiable de l'homosexualité fondé chez le Prophète, les rapports féminins ont été considérés moins sévèrement. Cela est en fait un indice indirect montrant que les hadiths prohibant l'homosexualité découlent bien d'une interprétation de ce récit du peuple de Loth, du fait de l'absence d'un hadith prophétique sain et fiable sur ce sujet non abordé par le Prophète.


B-2. Les causes de la destruction du peuple de Loth : 

Que signalait l'accusation dans le Coran du peuple de Loth d'avoir commis "ce que nul parmi les mondes n'a commis" avant eux : (7:80-81). Cela pouvait-il être l'homosexualité ? Cette pratique étendue dans toute la nature, et que toute personne s'occupant d'élevage a pu constater chez les animaux. Et dont nous avons des preuves archéologiques de la pratique dès la haute antiquité sur des fresques ? Il est en fait historiquement insoutenable que ce crime commis la toute première fois puisse être l'homosexualité, comme cela est soutenu naïvement dans les ouvrages d'exégèses. Une fresque représentant un couple homosexuel dans une tombe à Abydos antérieur de plus de cinq siècles à l'époque présumée de Loth et d'Abraham rend cette interprétation indéfendable, ainsi que les relations homosexuelles chez les animaux à l'état sauvage ou domestique.

Cette fresque figurant dans une tombe à Abydos remontant à au moins cinq siècles avant l'époque présumée d'Abraham et de Loth représente une trace apparente de la pratique de l'homosexualité en Égypte Ancienne avant la destruction du peuple de Sodome. Et cela est largement pratiqué dans la nature à l'état sauvage, et n'est pas propre aux hommes.


Donc, dans ce cas que signifiait selon le Coran "ce que nul n'a commis dans les mondes" devant conduire à la destruction de ce peuple ? Le Coran l'explique en fait très nettement : "l'interdiction catégorique de l'hétérosexualité" (11:79), (26:165-166), "l'enlèvement et le viol collectif des voyageurs" (11:79-83), (15:59-71), (29:28-29), (54:34), "le brigandage" (29:29), "les pratiques obscènes en public" (29:29), "la désobéissance aux ordres divins" (27:58-59), "leur perversion" (21:74-75), "l'absence de limite" (7:81), "l'alcoolisme et l'ivresse" (15:72), "le reniement des messagers" (26:160-164), (50:13), "l'adorations d'idoles" (27:59). Le peuple de Loth s'interdisait collectivement l'hétérosexualité comme un tabou sexuel, mais ceux-ci enlevaient aussi les visiteurs mâles pour les violer en public collectivement. Au point qu'ils sont décrits comme venant à la porte de leur prophète exiger les deux anges messagers dans l'intention de les violer collectivement.

Il apparait donc de façon claire que leur destruction n'était pas dûe à la pratique de l'homosexualité, qui est vieille comme le monde, mais bien en leur perversion sans précédant, comme désigné dans le Coran : renier Dieu, ses messagers, adorer les idoles, commettre des infamies en public, enlever les voyageurs mâles pour les violer collectivement, interdire tout rapport hétérosexuel etc. ibn Hazm a également soulevé cela, et abu Hanifa a souligné que le Coran ne prévoit aucune condamnation à l'encontre des pratiques homosexuelles, considérant qu'en cas de recours au tribunal à leur encontre, ils ne soient pas considérés aussi sévèrement que pour les adultérins : étant donné que ce type de rapport ne provoque pas de risque de confusion des lignées, de doute de paternité biologique, de perte de virginité et de crimes d'honneur. Envisageant néanmoins une peine dissuasive (ta'zir) pour trouble à l'ordre public.


B-3. Silence du Prophète Muhammad au sujet de l'homosexualité :

Il n'existe pas de hadith condamnant les pratiques homosexuelles qui soit fondé chez le Prophète, pas de hadith condamnant les homosexuels qui ne soit réfuté par des spécialistes du hadith. Pourtant, les mâles efféminés, ou transexuels existaient comme chez tous les peuples, chez les Arabes aussi, sans qu'aucune forme de châtiment n'ait été prévue à leur encontre, que ce soit dans le Coran ou par l'autorité du Prophète. Il ressort néanmoins que moralement, cela ait été considéré comme immoral, chose entérinée avec l'influence du monde judéo-chrétien, qui sera en fait la vraie source de la condamnation de l'homosexualité dans le monde musulman.


B-4. Notion d'Interdit Selon le Coran :

Le Coran insiste sur le fait que nul ne peut interdire une chose à par Allah. Plusieurs passages y reviennent.


Un passage du Coran reproche aux mecquois de s'interdire des bêtes considérées sacrées. 

(16:116) : "Et ne dites pas, conformément aux mensonges proférés par vos langues : "Ceci est licite, et cela est illicite !", pour forger le mensonge contre Allah. Certes, ceux qui forgent le mensonge contre Allah ne réussiront pas."


Un autre passage reproche au Prophète de renoncer à une boisson non alcoolisée en réponse à des réactions de plusieurs épouses visant à s'amuser avec lui au sujet de sa prétendue odeur d'alcool pour tester sa réaction.

(66:1) : "Ô Prophète ! Pourquoi, en recherchant l’agrément de tes femmes, t’interdis-tu ce qu’Allah t’a rendu licite ? Et Allah est Pardonneur, Très Miséricordieux."


Il est remarquable que le Messager n'avait même pas l'autorisation de s'interdire une chose a soi-même. Il est donc très clair que l'interdiction doit se fonder sur une preuve limpide révélée 


C. Approche Anthropologique et Historico-Critique :

Muhammed Mezyane, a fait une critique anthropologique et historique de la conception de l'homosexualité dans l'islam primitif, et souligné qu'il n'existe pas de hadith résistant à la critique des spécialistes du hadith, qui condamnerait ceux-ci à une peine, affirmation également confirmée dans al-Fath'ul Bari d'ibn Hajar al Askalani. C'est pour cette raison que les Sahabas ont dû débattre du statut de ceux-ci, et du comportement à avoir envers eux. Par conséquent aucun des hadiths : "Tuez quiconque commet l'acte du peuple de Loth", "Tuez celui qui pénètre et celui qui se fait pénétrer", "Dieu ne regardera pas ceux qui font l'acte du peuple de Loth", "Tuez celui qui fait avec un mâle ce qui se fait avec une femelle", comportent tous des défaillances et ne remontent pas au Prophète.

La première et la seconde générations ont pu considérer les homosexuels comme mécréants à l'image du peuple de Loth, et certains les tenir pour des pervers sans les considérer comme des mécréants. Mais un consensus s'instaura quant au fait que cet acte ne rend pas mécréant chez les Sahabas. Cependant des châtiments furent envisagés contre eux. Les brûler, les jeter du haut d'une falaise, faire s'effondrer un mur sur eux, ou plus tard, leur infliger la peine des fornicateurs. Or, il n'existe aucun commandement nécessitant leur mise à mort, peine qui est considérée comme nécessaire en se fondant sur une lecture superficielle du récit de Loth.

Nous relevons par conséquent qu'aucune peine n'est prévue contre cette pratique dans l'islam primordial. Même si cela est, dans les moeurs, considéré comme mauvais. L'existence de personnes efféminées du vivant du Prophète sans qu'une peine ne soit prévue à leur effet témoigne que cette sévérité est bien un héritage typiquement judéo-chrétien que le Prophète n'envisagea nullement.



D. Approche d'abu Hanifa :

Abu Hanifa envisageait à ce sujet une peine dissuasive. Il soulignait comme cette pratique ne génère pas des désordres tels que les risques de mélanges des lignées, perte de virginité ou crime d'honneur. Le fait qu'aucun des Sahabas n'ait envisagé de considérer cela comme le cas d'une fornication conforte l'approche d'abu Hanifa sur la considération de l'acte homosexuel autrement qu'un cas de fornication. Abu Hanifa soutenait en effet que si Dieu avait souhaité condamner cet acte, il aurait légiféré une peine comme pour les autres actes prohibés qu'il a condamnés, et défendu qu'il est suffisant de leur exercer une peine dissuasive (ta'zir). Or, une peine dissuasive dans le rite islamique peut être au maximum de dix coups de fouets, et aux mieux conduirz à un abandon des poursuites.

Il ressort bien qu'aucune peine n'est prévue de fait à ce sujet dans l'islam primitif par le Prophète Muhammad. Le rôle des moeurs est à ce sujet le facteur déterminant. Dans la nature, ce type de rapports est souvent constaté, et la ligne rouge au sujet des contacts physiques entre personnes du même sexe fluctue d'un milieu à l'autre. Par exemple, toucher la barbe d'un autre homme, lui faire un massage, l'embrasser, le tenir par la main ou embrasser avec la langue sont tolérés dans certaines communautés musulmanes.

Il n'existe pas de peine jurisprudentielle fondée par le Prophète au sujet de l'homosexualité. Néanmoins, il existe un verset du Coran permettant d'envisager un comportement coranique à ce sujet : "Suis la voie du pardon, commande selon les moeurs et éloigne-toi des ignorants" : (7/199). Ce verset nécessite en réalité de tenir compte de l'évolution social et antropologique des moeurs dans le droit musulman. Chose qui a été abandonnée au fil des siècles, dans un processus d'engorgement conceptuel et culturel condamnant le monde musulman à ne plus pouvoir remettre en question les points de vues des anciens, même lorsqu'ils ne se fondent ni sur le Coran, ni sur une parole fondée comme fiable émanant de l'autorité du Prophète.



E. La Notion d'Usages dans le Coran :

Un verset commande de suivre la voie du pardon, et de juger selon les usages. Ce qui montre la nécessité de contextualiser les règles de vie en coyafin de préserver l'ordre public.



Le Messager montrait cette considération des usages, et s'abstenir d'intervenir en dehors des interdits coraniques.

Umm Ḥafîd bint Al-Ḥârith, qui se prénommait Huzaylah, rendit visite à sa sœur Maymûnah, apportant avec elle quelques présents, dont un lézard. Les neveux de Maymûnah assistèrent à ce repas. En effet, elle était la tante maternelle de Khâlid ibn al-Walîd, de ʽAbdullâh et d’Al-Faḍl, les fils d'Al-ʽAbbâs (qu’Allah les agrée). Lorsque le repas fut servi et que le Prophète (sur lui la paix et le salut) tendit la main pour prendre de cette viande, une femme qui était présente dit : « Informez le Messager d'Allah (sur lui la paix et le salut) de ce qu'il s'apprête à manger ! » Quand on lui dit qu'il s'agissait de la viande de lézard, il retira sa main et s'abstint d'en manger. Khâlid lui dit alors : « Est-ce illicite, ô, Messager d'Allah ? - Il répondit : Non, mais cela n'existait pas sur les terres de mes ancêtres et je ressens un certain dégoût. - Khâlid dit : Je le tirai alors vers moi et en mangeai pendant que le Prophète (sur lui la paix et le salut) regardait. »









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire