mardi 24 janvier 2012

VIII. Place des Moeurs en Islam





A. Introduction :

L'islam et le Coran ont imparti un poids important aux moeurs Arabes dans l'institution des notions de Bien et de Mal. De fait, les notions de bien et de mal ne consistant pas en des vérités réfutables scientifiques, et variant selon les époques et les milieux. Le Prophète allait naturellement considérer le monde depuis son puit culturel et sémantique personnel. De cette façon, la place des moeurs et des usages Arabes en islam allait être marquée. Malgré qu'il ait généré de profondes réformes, cela allait demeurer notable à travers le Coran. Traditionnellement, les tentatives de justifier ces usages extra-coraniques comme une tradition plus ancienne abrahamique ont visé à les fonder comme également révélés, néanmoins une analyse plus rigoureuse montre que ces usages sont le produit de processus socio-anthropologiques beaucoup plus étendus. Sans doute, le cas de l'amputation de la main des voleurs en constitue un exemple intéressant [1]. Puisque cette pratique rejoignait la pratique en Droit Catholique Romain du temps de Muhammad et dans le reste de l'Europe. Les Arabes pouvaient, sous l'influence du monde byzantin appliquer tantôt cette peine, qui sera retenue dans le Coran. Cependant, le Coran allait procéder à un adoucissement par rapport au code byzantin codifiant une demi douzaine de peines. La finalité ressortant comme l'évitement des vendettas et règlements de comptes, afin de poser une immunité aux vies, biens, descendance, et croyances interpersonnelles. Sauf précisément à les avoir violées.



Jeune femme turque, en vêtement traditionnel.


B. Sagesse Selon les Moeurs :

خُذِ الْعَفْوَ وَأْمُرْ بِالْعُرْفِ وَأَعْرِضْ عَنِ الْجَاهِلِينَ

(7:199) : "Adopte la voie du pardon, commande selon les moeurs et éloigne-toi des ignorants.."


Ici, le Coran commande de se référer aux moeurs, ou choses tenues comme convenables. Le terme معروف revient ainsi en de nombreuses occurences à travers le Coran. Ce terme vient de la racine عرف (savoir, ce qui est connu, usage, moeurs). Par ailleurs, le terme السنة  signifie une idée très similaire. Dans l'islam primitif, l'idée de bonne ou de mauvaise sunnah était d'usage, le Coran mentionne ainsi la sunnah des gens du Livre, ou la sunnah de Dieu. En outre, avec le temps le terme بدعة  qui va plus tard désigner l'antipode de la sunnah était aussi utilisé comme pouvant désigner un bon ou un mauvais usage nouvellement initié. 

Le Coran recommande en plusieurs occurence d'agir selon le معروف . Cela est généralement traduit par "ce qui est convenable". Cependant, au sujet de "ce qui est convenable", les savants ont tantôt tenu compte des changements contextuels, comme cela est le cas au sujet de la valeur de la dot, des pensions alimentaires et en d'autres points.



C. Exemples de Versets Liés aux Moeurs : 

(2:178) : "O les croyants ! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allègement de la part de votre Seigneur, et une miséricorde. Donc, quiconque après cela transgresse, aura un châtiment douloureux."

(2:233) : "Et les mères, qui veulent donner un allaitement complet, allaiteront leurs bébés deux ans complets. Au père de l’enfant de les nourrir et vêtir de manière convenable. Nul ne doit supporter plus que ses moyens. La mère n’a pas à subir de dommage à cause de son enfant, ni le père, à cause de son enfant. Même obligation pour l’héritier. Et si, après s’être consultés, tous deux tombent d’accord pour décider le sevrage, nul grief à leur faire. Et si vous voulez mettre vos enfants en nourrice, nul grief à vous faire non plus, à condition que vous acquittiez la rétribution convenue, conformément à l’usage. Et craignez Allah, et sachez qu’Allah observe ce que vous faites.

(2:236) : "Vous ne faites point de péché en divorçant d’avec des épouses que vous n’avez pas touchées, et à qui vous n’avez pas fixé leur mahr. Donnez-leur toutefois - l’homme aisé selon sa capacité, l’indigent selon sa capacité - quelque bien convenable dont elles puissent jouir. C’est un devoir pour les bienfaisants." 

(4:6) : "Et éprouvez (la capacité) des orphelins jusqu’à ce qu’ils atteignent (l’aptitude) au mariage; et si vous ressentez en eux une bonne conduite, remettez-leur leurs biens. Ne les utilisez pas (dans votre intérêt) avec gaspillage et dissipation, avant qu’ils ne grandissent. Quiconque est aisé, qu’il s’abstienne d’en prendre lui-même. S’il est pauvre, alors qu’il en utilise convenablement : et lorsque vous leur remettez leurs biens, prenez des témoins à leur encontre. Mais Allah suffit pour observer et compter.


(4:25) : "Et quiconque parmi vous n’a pas les moyens pour épouser des femmes libres (non esclaves) croyantes, eh bien (il peut épouser) une femme parmi celles de vos esclaves croyantes. Allah connaît mieux votre foi, car vous êtes les uns des autres (de la même religion). Et épousez-les avec l’autorisation de leurs maîtres (Waliy) et donnez-leur un mahr convenable; (épousez-les) étant vertueuses et non pas livrées à la débauche ni ayant des amants clandestins. Si, une fois engagées dans le mariage, elles commettent l’adultère, elles reçoivent la moitié du châtiment qui revient aux femmes libres (non esclaves) mariées. Ceci est autorisé à celui d’entre vous qui craint la débauche; mais ce serait mieux pour vous d’être endurant. Et Allah est Pardonneur et Miséricordieux."



D. Notions de Bien ou de Mal dans le Coran : 

كُتِبَ عَلَيْكُمُ الْقِتَالُ وَهُوَ كُرْهٌ لَّكُمْ وَعَسَى أَن تَكْرَهُواْ شَيْئًا وَهُوَ خَيْرٌ لَّكُمْ وَعَسَى أَن تُحِبُّواْ شَيْئًا وَهُوَ شَرٌّ لَّكُمْ وَاللّهُ يَعْلَمُ وَأَنتُمْ لاَ تَعْلَمُونَ

(2:216) : "Le combat vous a été prescrit alors qu’il vous est désagréable. Or, il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est avantageuse. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle vous est mauvaise. C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas."

Le Bien et le Mal désignent suivant ce verset les avantages ou les désavantages générés par les actions individuelles ou collectives. Ce qui signifie que selon les situations, le bien et le mal puissent évoluer.


(2/219)  : "Ils t’interrogent sur le vin et les jeux de hasard. Dis : 'Dans les deux il y a un grand péché et quelques avantages pour les gens; mais dans les deux, le désavantage est plus grand que l’utilité'. Et ils t’interrogent : 'Que doit-on dépenser (en charité) ?' Dis : 'L’excédent de vos biens.' Ainsi, Allah vous explique Ses versets afin que vous méditiez.'" 

Ici aussi, les boissons fermentées sont évaluées selon le rapport avantages/désavantages en sorte d'être finalement prohibées dans un rapport défavorable. Ce principe scientifiquement réfutable constitue véritablement une base solide dans l'évaluation éthique des notions de bien et de mal. 



E. Pas de Difficulté en Religion :

 يُرِيدُ اللّهُ بِكُمُ الْيُسْرَ وَلاَ يُرِيدُ بِكُمُ الْعُسْرَ

(2:185) : "Allah vous veut la facilité, pas la difficulté."


Aucun commandement du Coran n'est absolu ni invariable. Ainsi, chaque verset mentionnant l'interdiction de manger de la viande de porc est suivi systématiquement de la dérogation, "sauf sous la pression de la faim" ; le malade est dérogé du devoir de jeûner, le démuni du devoir du pèlerinage ... , en sorte qu'aucune règle n'est absolue et invariable dans le Coran. Ainsi, même le seul péché capital de l'islam qui consiste en la reconnaissance d'autres dieux que le Démiurge est toléré sous la contrainte, à condition de le refuser dans son coeur :

(16:105-106) : "Seuls forgent le mensonge ceux qui ne croient pas aux versets d’Allah; et tels sont les menteurs. Quiconque a renié Allah après avoir cru, - sauf celui qui y a été contraint alors que son cœur demeure plein de la sérénité de la foi - mais ceux qui ouvrent délibérément leur cœur à la mécréance, ceux-là ont sur eux une colère d’Allah et ils ont un châtiment terrible."



F. Dérogations et Suspension des Interdits sous Contrainte : 

Effectivement, des interdits instruits personnellement par le Prophète aussi ont été tantôt relevés pour certaines personnes selon leurs conditions personnelles. Ainsi, le Prophète a permis à ibn Maktum de prier chez lui en raison de sa cécité. Que les règles changent suivant la conjoncture particulière se constate ainsi, également à travers la pratique du Prophète.


F-1. Prohibition de L'Or et de La Soie aux Mâles : 

"Ces deux-ci (or et soie), sont permis aux dames de ma communauté, mais interdits à nos mâles." (al-Bukhari.)

Anes bin Malik dit : “Abdurrahman ibn Sa’d et Zubayr se sont plaint au Prophète de démangeaisons. Et le Prophète leur autorisa de porter des habits en soie.” (al-Bukhari ; Muslim ; ibn Maja.)

D'après Arfaja ibn Es'ad, celui-ci avait perdu son nez lors de la bataille contre les banu Kilab. Muhammad lui fit fabriquer une prothèse de nez en bronze. Or, cette prothèse sentant mauvais, il lui fit fabriquer une autre prothèse en or. (İmam Sarakhsi, Charh Siyar al Kabir.)


F-2. L'interdiction des Traînes : 

"Dieu ne regardera pas la personne traînant ses habits avec orgueil." 

abu Bakr demanda au Prophète : "Une partie de mes habits traîne à terre, mais je les ramasse dès que je le constate", le Prophète lui dit : "Tu n'es pas de ceux qui font cela par orgueil." 


G. Contexte Socio-Anthropologique et Ethique : 

 جَعَلْنَا مِنكُمْ شِرْعَةً وَمِنْهَاجًا وَلَوْ شَاء اللّهُ لَجَعَلَكُمْ أُمَّةً وَاحِدَةً وَلَكِن لِّيَبْلُوَكُمْ فِي مَآ آتَاكُم فَاسْتَبِقُوا الخَيْرَاتِ

(5:48) : "A chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre. Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. "


Si nous résumons, une chose sera permise ou prohibée, suivant la conjoncture socio-anthropologique, selon que celle-ci procure des avantages ou des désavantages sur le plan individuel et collectif. Ainsi, chaque communauté a reçu des règles propres selon les époques, suivant le Coran. Ainsi, selon la tradition, les enfants d'Adam se seraient mariés entre-eux : chose prohibée dans le Coran. Voilà ce qui constitue la toile de fond de ce qui est traditionnellement traité dans la rubrique de l'abrogation. Les notions de Bien et de Mal ne sont pas conçues dans la systématique du Coran comme noir ou blanc, mais suivant le rapport avantage/désavantage, et comme des valeurs variables selon les contextes sociologiques. Ce qui est avantageux pour une communauté dans un milieu pouvant être désavantageux pour une autre communauté dans un autre milieu. Il sera de cette façon probable qu'au même moment, en deux milieux différents les conditions soient différentes. Et comme souligné plus haut, cela ne se réduit pas aux détails, mais s'étend jusqu'aux principes les plus centraux. Dans le rite hanafite, cette contextualisation est nommée istihsan.

Quoi que certains savants s'opposent à cette évidence, cela est fondé directement dans le Coran et par la pratique du Prophète : "Dieu vous a détaillé les interdits, sauf à y être forcés." (6:119) Selon ce verset explicite, les actes sont déterminés selon leurs avantages ou désavantages (ضرر) de façon variable.


قَدْ فَصَّلَ لَكُم مَّا حَرَّمَ عَلَيْكُمْ إِلاَّ مَا اضْطُرِرْتُمْ إِلَيْهِ وَإِنَّ كَثِيرًا لَّيُضِلُّونَ بِأَهْوَائِهِم



En Egype Antique des mariages incestueux étaient pratiqués. De même qu'en Perse Antique. Umar leur autorisa ainsi ce type de mariage, qui était conforme à leurs moeurs propres, et pratiqué par les enfants d'Adam selon la tradition. 





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[1] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1948_num_3_3_1658_t1_0378_0000_4 (R. S. Lopez, Byzantion, Byzantine Law in the seventh century and its Reception by the Germans and the Arabs.)

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