Analyse critique du statut des efféminés : Une étude sur la transmission, l’interprétation des hadiths et la confrontation avec le Coran
Introduction
Les hadiths relatifs aux efféminés ont suscité des débats sur leur validité, leur signification, et leur impact sur la formation de règles islamiques. Ibn Abbas et abu Hurayra sont les narrateurs principaux associés à ces récits, mais d'autres figures telles que ibn Mas'ud et Aïcha ont également été citées dans des contextes similaires. L'objectif de cette analyse est d'examiner les chaînes de transmission, les variantes des récits, ainsi que la manière dont ces narrations se confrontent au Coran. Nous inclurons également une discussion sur les hadiths qualifiés de munqati‘ (interrompus) et da‘if (faibles), ainsi que le cas de khabar ahad pour évaluer leur pertinence en tant que base juridique.
Méthodologie
L’approche adoptée dans cette étude repose sur une analyse détaillée des chaînes de transmission (isnad), du contenu des hadiths (matn), et de leur pertinence par rapporté aux principes coraniques. Le contexte historique et interprétatif des hadiths sur les efféminés montre que les hadiths sur les efféminés se divisent en deux grands groupes : 1. Les variantes d’un incident concernant un homme efféminé fréquentant les épouses du Prophète, comme celui rapporté par ibn Abbas. 2. Les récits se concentrant sur l’apparence extérieure ou le comportement vestimentaire efféminé d’abu Hurayra.
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Les récits traditionnels
Voici la présentation des variantes des hadiths mentionnant les efféminés et des femmes masculinisées, rapportés par différentes chaînes de transmission :
1. Hadith d'ibn Abbas
Rapporté par Al-Bukhari (5886) :
« Le Prophète a maudit les efféminés parmi les hommes et les masculines parmi les femmes et a dit : 'Expulsez-les de vos maisons. »
« Le Prophète a fait expulser un tel et une telle.»
Rapporté par At-Tirmidhi (2784) et Ahmad (3078) :
« Le Prophète a maudit les hommes qui imitent les femmes et les femmes qui imitent les hommes. »
2. Hadith d'abu Hurayra
• Rapporté par abu Dawud (4098) et ibn Majah (1903)
« Le Prophète a maudit l’homme qui porte des vêtements de femme et la femme qui porte des vêtements d’homme. »
3. Hadith d'ibn Abi Mulaika (n'a pas vu le Messager)
Rapporté par Al-Bukhari (mu'allaqāt) (5885) :
« Le Prophète a maudit les hommes efféminés et les femmes masculinisées. »
(Munqati')
4. Hadith selon Aicha
Rapporté par abu Dawud (4927) :
« Une fois, une femme s'habilla comme un homme et marcha de manière masculine devant le Prophète. Il dit : 'Allah a maudit les femmes qui imitent les hommes et les hommes qui imitent les femmes. »
(Jugé da'if)
5. Hadith d'Abdullah ibn Mas'ud
Rapporté par Al-Bukhari (5931) et Muslim (2125) :
« Le Prophète a maudit les femmes qui se tatouent et celles qui demandent à être tatouées, celles qui épilent leurs sourcils et celles qui modifient la création d’Allah. »
→ Ici l'idée de changer la création est considéré contrevenir à l'interdiction de transformation.
6. Rapporté d'après abu Dawud
« Un mukhannath qui avait teint ses mains et ses pieds avec du henné a été amené au Prophète. Il a demandé : quel est le problème avec cet homme ? Il a été dit : apôtre d'Allah ! Il aime la tenue des femmes. Alors il a ordonné de le voir et il a été banni à un-Naqi'. Les gens ont dit : apôtre d'Allah ! Ne devrions-nous pas le tuer ? Il a dit : il m'a été interdit de tuer des gens qui prient. abu Usamah a dit : Naqi' est une région proche de Médine et non Al-Baqi' »
Les incohérences multiples du récit le rendent mu'allal. Da'if d'après Hafid Zubair al Dani et selon Shaykh Chu'ayb al Arna'ut
Ces variantes montrent que l'interdiction d'imiter l’autre genre dans un contexte culturel spécifique est rapportée dans plusieurs sources et d'après différents compagnons du Prophète.
Les hadiths d’ibn Abbas et abu Hurayra
Les narrations d’ibn Abbas et d’abu Hurayra sont les plus explicites en relation avec les efféminés. Mentionnons que le récit d’ibn Abbas ressort être une interprétation d'un incident lié à un homme efféminé qui fréquentait les épouses du Prophète, et dont la fréquentation de ses épouses aurait été réprouvé par le Prophète. Il semblerait que celui-ci se soit plus tard installé a Naqi', en périphérie de Yathrib. Or, le Messager n'a nullement exigé d'expulsion, sinon du domicile de ses épouses.
Abu Hurayra, quant à lui, transmet le récit d'ibn Abbas en interprétant l'imitation par la tenue vestimentaire. La présence de Suhayl ibn abī Ṣāliḥ, dont la mémoire a été critiquée, rend cette chaîne moins robuste, le hadith est en outre mu'an'an. Il s'agit bien du récit selon ibn Abbas reformulé sans citer celui-ci, une pratique reconnue chez abu Hurayra (mursal al Sahabi).
Problématique de transmission bi'l ma'na, et d’interprétation
Les récits sur les efféminés présentent plusieurs problèmes de transmission, notamment en ce qui concerne les variantes munqati‘ et da‘if. En raison de la présence de narrateurs non fiables dans certaines chaînes de transmission, ces récits ne peuvent être utilisés comme fondements légaux sans une vérification approfondie. De plus, les ruwâya bi-l-ma‘nâ ont contribué à des interprétations évolutives de ces récits au fil du temps.
Réflexion critique sur la règle juridique
Les récits sur les efféminés rapportés par ibn Abbas, abu Hurayra, ..., posent des questions importantes sur leur fiabilité et leur application juridique. Outre les moyens de transmission, souvent décousus, le caractère isolé (khabar ahad) des récits interdisent l’établissement de règles absolues sur leur base. Le Coran, quant à lui, ne semble pas cautionner une réprobation de l’efféminement, et toute règle basée sur ces hadiths doit être abordée avec prudence.
Ces narrations consistent en des interprétations sociales et culturelles du rôle des genres, et ne nécessitent pas une condamnation religieuse de l’efféminement ou de la masculinité. Il faut les lire avec précaution, en gardant à l'esprit que la variété des récits nécessite une déconstruction rigoureuse.
Une reconnaissance implicite de l'effeminité
Après l'analyse avancée des récits, loin de nécessiter une condamnation des efféminés, le récit d'origine témoigne d'une reconnaissance implicite du caractère particulier des transgenres. Notons que l'incident se produit vers 630H juste avant la bataille de Ta'if. Soit plusieurs années après le verset du hijab. En effet, la présence de l'effeminé au milieu des épouses du Messager, jusqu'à ses propos, montre que le Messager leur reconnaissait un statut particulier. En effet, malgré qu'il soit anatomiquement un mâle, son comportement féminisé indiquait une insensibilité érotique envers les femmes. Ce qui semblait ne pas déranger sa présence avec les épouses du Messager. Or en évoquant les formes féminines d'une dame de Ta'if, il révélait ne pas être indifférent aux courbes des femmes. Et il a donc été recommandé de ne plus le tolérer chez ses épouses. Même si, sans doute dû à la révulsion de fidèles, l'homme semble s'être installé en périphérie de la ville, et que certains aient pu interpréter cela comme imposé lors de l'incident de l'autorité du Prophète, il demeure que sans ces propos au sujet de l'attirance sexuelle d'une dame, il aurait vraisemblablement continué à être toléré auprès des épouses du Messager.
Confrontation avec le Coran
Le Coran ne mentionne pas les efféminés, ni ne condamne les comportements considérés comme efféminés. Le verset 49:13 du Coran, qui traite de l’égalité des êtres humains, semble être en contradiction avec l’idée d’une réprobation générale des efféminés sur la base de comportements extérieurs :
« Ô hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus afin que vous vous connaissiez. En vérité, le plus noble d'entre vous auprès de Dieu est celui qui est le plus pieux. »
1. Le jugement selon l'apparence et le cœur
Un verset affirme que Dieu ne juge pas selon l’apparence, mais selon le cœur (Cor. 49:13), et ceci est un principe très important dans l'islam. Ce verset met en évidence l'idée que le jugement divin est basé sur l'intention intérieure, la pureté du cœur et la sincérité, et non sur les aspects extérieurs, comme l'apparence ou le statut social.
Cela laisse entendre que l’essence spirituelle d’un individu est plus importante que sa présentation extérieure. Une personne peut, par exemple, adopter des comportements ou des apparences qui ne correspondent pas aux attentes sociales ou culturelles, mais cela ne doit pas être une base de jugement moral. Ce principe peut alors être une clé d’interprétation pour les discussions sur les comportements ou apparences qui ne suivent pas les rôles de genre traditionnels.
2. Dieu connaît sa création
Un autre verset dit, « Le créateur ne connaîtrait-il pas sa création ? », et enseigne l’idée que Dieu, étant le créateur de tout, connaît parfaitement la nature de l’homme, ses besoins, ses désirs et ses particularités innées. Cette idée soulève un argument important dans le débat concernant la fluidité de genre ou les identités de genre non binaires : si Dieu connaît la création, il en crée lui-même les nuances, les transitions et les différences qui peuvent exister dans l’expression de la personnalité humaine en découlent.
En effet, l'identité de genre ou même des comportements perçus comme « contre nature » peuvent être des expressions de la création divine qui ne sont donc pas en contradiction avec la volonté divine, mais plutôt des variations naturelles dans la création humaine.
3. La conjecture et le genre non binaire
De plus, l'argument du « contre nature » se révèle être basé sur des présupposés ou des jugements erronés qui ne reposent pas sur des bases scientifiques ou biologiques claires. Au contraire, il existe des recherches et des observations sur les transitions biologiques ou les caractéristiques non binaires entre les genres, notamment en biologie et en génétique, qui remettent en question les dichotomies strictes entre masculin et féminin. La question de la transition non binaire est éclairée à la lumière des avancées scientifiques. Par exemple, certaines conditions biologiques comme l’intersexualité ou certaines variations chromosomiques (XXY, XO) montrent que la nature humaine n’est pas nécessairement divisée en deux genres distincts. Cette fluidité biologique pourrait faire appel à une lecture plus nuancée des textes sacrés, en tenant compte de la diversité de la création humaine.
La reconnaissance de cette fluidité pourrait, dans une vision objective de l'Islam, être comprise comme une invitation à faire preuve de compassion et d’ouverture, en prenant en compte l’essence et l’intention des individus plutôt que de se concentrer exclusivement sur des catégories sociales ou biologiques rigides.
4. L'injonction de juger selon les moeurs
Le Coran commande « Suis la voie du pardon, juge selon les moeurs, et éloigne toi des ignorants. » (7:199). Ce qui implique que les usages ayant dirigé les récits supra n'ont pas de priorité par rapport aux mœurs d'autres milieux et époques.
5. Prohibition d'interdire ce sur quoi Allah n'a rien exposé
Le Coran réprimande l'interdiction sur base de conjectures (16:116), même le Prophète n'avait pas l'autorité de s'interdire, même a soi même quoi que ce soit (66;1).
Une approche nuancée de la théologie et de la création
Cela nous amène à une réflexion théologique plus large : l'Islam, comme toute tradition religieuse vivante, peut évoluer dans ses interprétations à mesure que notre compréhension de la nature humaine se précise, tant sur le plan biologique que psychologique. Une approche qui met l’accent sur l'intention et la sincérité du cœur, tout en reconnaissant la diversité biologique et sociale des individus, permettrait de mieux concilier les enseignements spirituels du texte avec les réalités humaines complexes.
Cette observation sur la conjecture infondée dans les jugements concernant le genre est cruciale. Si la nature humaine est plus complexe que les simples dichotomies sociales ou biologiques entre hommes et femmes, il est probable que certains jugements traditionnels devraient être réexaminés à la lumière des connaissances contemporaines. Le créateur, connaissant parfaitement sa création, devrions-nous faire preuve de compréhension et de bienveillance [note], en reconnaissant que certaines variations dans l'expression de l'identité humaine sont une partie intégrante de sa création, et non des déviations contre nature.
Cela implique d'ouvrir la voie à une réflexion plus inclusive sur les questions de genre, qui prenne en compte la diversité biologique et psychologique de l'humanité. L’interprétation des récits sur l’efféminement et le genre dans le contexte islamique : une réflexion nuancée à la lumière des textes et des découvertes modernes
L’Islam, comme toute tradition religieuse vivante, évolue dans ses interprétations au fur et à mesure que la compréhension humaine se précise. Cela est particulièrement pertinent lorsqu'il s'agit de questions complexes telles que l’efféminement, l’imitation des rôles de genre, et la fluidité de genre. À travers une analyse des récits historiques et des textes religieux, cette réflexion vise à explorer comment les écrits islamiques peuvent être réinterprétés à la lumière des découvertes modernes en biologie et des principes spirituels qui gouvernent la foi musulmane.
Terminons avec ce hadith rapporté par l'imam Ahmad et al-Dârimî :
Le Prophète a dit à Wâbissa ibn Ma'bad : « Demande la fatwa à ton cœur, demande la fatwa à ton âme. Le bien est ce à propos de quoi l’âme se tranquillise et le cœur se tranquillise. Le mal est ce qui trouble l’âme et fait hésiter le cœur, même si les gens te donnent des fatwas et t’autorisent. »
(Rapporté par Ahmad, 4/227, et al-Dârimî, 2/246)
Ce hadith met en avant l'importance de la conscience et du discernement personnel dans les décisions morales.
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