jeudi 12 janvier 2012

XIX. Les Racines de l'Islam



A. Introduction :

La tendance actuelle à tout trier et faire passer au crible d'un rigorisme étroit, réduit la littérature islamique et conduit à abandonner tout ce qui n'entre pas dans ce carcan étroit. Ce rigorisme conduit à une censure indirecte de toute l'histoire du monde musulman, qui conduit à la perte progressive des racines islamiques. Dans cet article nous allons montrer le véritable risque d'une telle tendance sur le plan historique.





B. Les Racines de l'Islam :
B-1. Un Exemple Parlant :

Pour montrer le véritable danger d'une telle démarche je voudrais citer ici un exemple très caractéristique inattendu des sources para-coraniques qui montre combien la conservation scrupuleuse de tous les ouvrages anciens de façon intégrale est d'une grande importance.

Un ouvrage a priori sans intérêt (du moins pour des rigoristes religieux indifférents à l'histoire) est le fammeux kitâb al Asnâm (Livre des Idoles) d'al Kalbī. Kalbī y décrit les anciennes idoles, les lieux où ceux-ci étaient vénérées et leurs histoires. On peut concevoir qu'entre les mains des savants rigoristes contemporains un tel ouvrage aurait été jeté aux oubliettes de l'histoire et sans doute ses exemplaires été détruits dans un esprit de grande piété.

Pourtant, cet ouvrage a servi à l'archéologie comme source précieuse concernant l'histoire de la Mecque, et je voudrais partager ici les conclusions scientifiques qui en ont été tirées. D'après Thomas Maria Weber, le récit affirmant que 'Amr ibn Luhay ayant arraché la gestion de la Ka'ba des mains des Jurhum et qui frappé d'une maladie aurait été se rendre près d'une certaine source chaude du côté d'al Balqā où il aurait été chercher des idoles serait vraisemblable [1].

D'après l'archéologue, dans la région décrite se trouveraient plusieurs sources thermales correspondant à la description des anciens écrits (abū 'l Walid al-Azqrakī, dans ''Akhbār Makka'', 31, 58, 73). Thomas Maria Weber écrit : "Ainsi, au nord et au sud : Emmartha près de Gadara (Umm Qais), Hammâm Abû Dablâ près de Pella (Tabaqat Fahil), Callirhoe ('Ain az-Zarah) et Baraas (Zarqa Ma'în) sur la rive orientale de la Mer Morte ; Betomearsea-Maiumas ('Ain az-Arah) près de Charabmoba (al-Kerkak) et Afrâ dans les environs du sanctuaire nabatéen de Khirbet at-Tannûr. Pour des raisons géographiques, c'est ce dernier site, le plus proche des bains situés à la frontière entre Ras an-Nabk et le Hedjaz|Hijâz, qui semble l'hypothèse la plus sérieuse.

Et de conclure un peu plus loin, au sujet du récit d'Hicham ibn al-Kalbī rapportant que 'Amr aurait demandé aux habitants de cette région, ce qu'elles étaient, au sujet de leurs statues : "La question apparemment naïve qu'Amr posa à ceux qui se rendaient à la source laisse les chercheurs d'aujourd'hui perplexe à l'idée que les représentations anthropomorphe de dieux, de rois et d'ancêtres auraient été connues depuis des temps beaucoup plus anciens dans la partie sud-arabique du cheik des Khuza'a. Quelques éléments parlent malgré tout en faveur du récit d'al-Kalbî : on attribue à 'Amr ibn Luhay l'importation de nombreuses autres représentations de dieux, depuis le Nord jusqu'au Hijâz. En tout, 360  idoles auraient été vénérées au sanctuaire de la Mecque avant le triomphe de l'islam et leur destruction par le Prophète. Ainsi que Saleh al Hamarneh l'a suggéré, le grand nombre et la diversité des dieux arabes tient peut être aux divergences d'intérêts socio-économiques entre les groupes tribaux ; ceux-ci, divisés sur les plans politiques et religieux cherchaient à sceller des alliances particulières à travers des cultes communs. Les principales divinités tribales étaient al-'Uzza, Allât et Manât, trois divinités féminines, ainsi que le dieu du beau temps et du mauvais temps, particulièrement vénéré à Dumat al-Djandal (al-Djawf), Wadd. A la Mecque, on trouvait aussi le père des dieux, Hubal, représenté sous les traits d'une grande idole. (...) Les noms des divinités cités (plus haut) apparaissant depuis déjà quelques siècles dans les inscriptions nabatéennes, à l'est de la région jordanienne, on en conclut que les figures cultuelles proviennent effectivement du Nord."

L'archéologue écrit de même qu'il n'est pas exclu que d'autres « pierres-idoles », nommées « ''baityloi'' » par les grecs étaient également parfaitement connues des Nabatéens d'Arabie du Nord, en tant que forme cultuelle primitive, et écrit : "On ne peut exclure qu'Amr ibn Luhayy ait vu, sur le site des dites sources de l'ouest jordanien, des pierres abstraites de ce type, et qu'il les ait emportées avec lui au Hijâz." Finalement il conclut en écrivant ceci : "Les rares allusions d'Ibn al-Kalbî à la forme extérieure des idoles, par exemple aux membres dont est dotée la figure de Hubal, laissent entrevoir qu'une partie au moins des statues rapportées de l'est du territoire jordanien par 'Amr Ibn Luhayy étaient anthropomorphes. Une fois posée cette prémisse, la méthode justifie que l'on examine quelques effigies de dieux trouvés près des sources thermales du nord de l'Arabie documentées par l'archéologie, afin de pouvoir se représenter les idoles préislamiques de la Mecque.".


Il est étonnant de constater que sur la base de cet ouvrage, l'archéologue Thomas Maria Weber a montré que le récit de l'importation des idoles à la Mecque du temps d'Amr ibn Luhay est pertinente. L'archéologue explique que dans le Hijaz, les représentations antropomorphes étaient ignorées, et que les noms des idoles importées, leurs origines mentionnées en Syrie et ailleurs en Arabie, sont confortées par l'archéologie, et cela alors même que le régime Saoudien interdit toute fouille dans les territoirs sacrés de la Mecque et de Médine. Autrement dit, cet ouvrage qui peut sembler inutile voir vu comme un danger a servi à confirmer l'affirmation que les idoles ont été importées à la Mecque qu'à une époque relativement récente.


Ainsi, la censure des ouvrages classiques (je ne parles pas d'annotations des éditeurs, si des passages ne correspondent pas à leurs écoles de pensées) conduit le monde musulman à progressivement perdre ses racines. Si cette démarche se maintient les générations ultérieures deviendront incapables de reconstituer l'histoire et retrouver quel que trace du paleo-islam.


B-1. Des Savants Abandonnés Par Sectarisme :

Dans le but de montrer l'ampleur de cette tendance à la censure aveugle et siencieuse mentionnons le triage des savants qui accompagne la censure à peine voilée des ouvrages classiques, en en omettant simplement des pages entières. Combien de savants sont ainsi reniés et censurés pour leur ach'arisme, mu'tazalisme, zaydisme, encore soufisme etc. Si tous les ouvrages émanant de ces savants est censuré à ce rythme, il ne restera pour ainsi dire presque plus aucun ouvrage de référence.

Pour réaliser l'ampleur de cette tendance, voici une liste de quelques savants musulmans ach'arites (évidement la liste n'est pas exhaustive, mais retient des noms connus pour montrer la gravité de la situation, nous avons choisi de citer une soixantaine de savants ach'arites de référence car ils sont très nombreux) :

  1. ibn Hajar al-Asqalâniy abu l-Fadl ;
  2. abu l-Haçan al-Bâhiliyy ;
  3. abuu IsHâq al-Isfirâyîniyy ;
  4. Hâfid abu Nu'aym al-Acahâniyy ;
  5. Le qadi abdul Wahhâb al-Mâlikiyy ;
  6. abu Muhammad al-Juwayniyy ; et son fils abu l-Ma'âlî ;
  7. abu Mançur at-Tamîmiyy al-Baghdâdiyy ;
  8. Hâfid Abu Bakr al-Ismâ'îliyy ;
  9. Hâfid abu Bakr al-Bayhaqiyy ;
  10. Hâfid Ad-Dâraqutniyy ;
  11. Hâfid al-Khatîb al- Baghdâdiyy ;
  12. abu l-QâcimaAl-Quchayriyy ; et son fils abu Nasr al-Qouchayriyy ;
  13. abu Ishaq Ach-Chîrâziyy ;
  14. Nasr Al-Maqdiciyy ;
  15. Al- Farâwiyy ;
  16. abu l-Wafâ’ ibn Aqîl al-Hanbaliyy ;
  17. Le Qâdî amghâniyy Al-Hanafiyy ;
  18. abu l-Walîd Al-Bâjiyy Al-Mâlikiyy ;
  19. as-sayyid Ahmad Ar-Rifâ`iyy ;
  20. Hâfid abu l-Qâcim Ibn Açâkîr ;
  21. ibn Sum'âniyy ;
  22. Qâdî Iyâd ;
  23. an- Nawawiyy ;
  24. Fakhru d-Dîn ar-Râzî ;
  25. al-'Izz ibn Abdi s-Salâm
  26. abu amr ibn l-Hâjib al- Mâlikiyy ;
  27. ibnu daqîq Al-'Îd ;
  28. Imam 'alâ’u d-Dîn al-Ajiyy ;
  29. Le Qadi Taqiyyou d-DIn As-Subkiyy ;
  30. Hâfid al-'âlâ'iyy ;
  31. Hâfid Zaynu d-Din al- 'IrAqiyy et son fils hafid Waliyyu d-Dîn al-'Irâqiyy ;
  32. Hâfid ibn Hajar al-Asqalâniyy ;
  33. Hâfid Mourtadâ Az-Zabîdiyy al-Hanafiyy ;
  34. Bahâ'u d-Din Ar-Rawwas al- Sufi ;
  35. Mufti Ahmad Zaynu DahlAn ;
  36. Le Mousannid Waliyyu l-LAh ad- Dahlawiyy ;
  37. Le Mufti d’Egypte Mouaammad 'Illaych al-Malikiyy ;
  38. abu l-Lah Ach-Charqawiyy ;
  39. abu l-Mahacin al-Qawaqjiyy ;
  40. Chaykh Houçayn al-Jisr al-Trabulsiyy ;
  41. Cheykh abdu l-Latif Fatha l-lah ;
  42. Chaykh Moustafâ Naja qui est Moufti de Beyrouth
  43. Chaykh AbôuMouHammad Al- WaylatOUriyy Al-MilibAriyy Al-Hindiyy. Il a composé une lettre qu’il a appelée Al-`AQA’idou s-Sounniyyah bi bayâni T-Tariqati l-‘Ach`ariyyah
  44. Ibnu Farhun Al-Malikiyy
  45. le Qadi Abu Bakr MouHammad Ibnou T-Tayyib Al-BAqil-lAniyy ;
  46. le hâfid Ibnou Fawrak ;
  47. abu Hamid Al-Ghazaliyy ;
  48. abu  l-FatH Ach- ChahrastAniyy ;
  49. l’Imam Abôu Bakr Ach-Châchiyy Al- Qaffâl ;
  50. abu Aliyy Ad-Daqqaq An-Nayçâbôuriyy ;
  51. Al- Hakim An-Nayçâbôuriyy ;
  52. Chaykh MouHammad Ibnou ManSOUr Al-Houd-houdiyy ;
  53. Chaykh Abôu `Abdi l-LAh MouHammad As-Sanûçiyy
  54. Chaykh MouHammad Ibnou `AllAn As-Siddiqiyy Ach-Châfi`iyy ;
  55. Alawiyy Ibnou Tahir Al-Hadramiyy ;
  56. al-Habib Ibnou Houçayn ibni abdi l- lah Bilfqih ;
  57. Tous les maîtres de l’Hadramaout de la famille 'Alawiyy ;
  58. as-saqqaf ;
  59. al-Junayd ;
  60. al-Aydarus ;
  61. etc.

Pour les personne familiarisées avec la littérature musulmane classique, cette liste en dit long sur les dangers d'une censure silencieuse d'une telle ampleur.


C. Des Milliers de Manuscrits Abandonnés à l'Oubli :

L'importance des manuscrits abandonnés dans des archives un peu partout en Europe et ailleurs par cet esprit rigoriste et la destruction des sites historiques a des conséquences dévastatrices terribles. Le manque de réactivité du monde musulman à l'oubli silencieux de ses racines et d'une censure d'une telle ampleur se fait à peine sentir dans certains reproches de la négligeance de l'archéologie sur les sites fondateurs du monde musulman. Or, le manque presque absolu de recherches ambitionnant la republication d'ouvrages clés oubliés traînant dans des bibliothèques éparses, généralement en dehors du monde musulman qui n'en comprend pas l'importance capitale en tant que patrimoine universel, révèle le désintérêt, pour ne pas dire le mépris des subventionneurs des maisons d'éditions, qui ne sont autres que ceux qui exigent une censure sévère des ouvrages classiques qui n'entrent pas dans le carcan d'une vision bornée et sclérosée d'un islamisme amputé de ses racines.



Illustration d'une machine d'al Jazarī (XIIe-XIIIe S), dans un vieux manuscrit.


D. Importance Des Manuscrits Pour L'Etude Linguistique :

Un autre exemple qui montre le danger d'une telle tendance est l'importance des écrits anciens ne serait-ce que pour la linguistique et la détermination du sens des mots qui est un fondement essentiel, pour les générations futures. En effet, des usages particuliers de mots donnés dans des ouvrages de référence constituent une base de donnée d'une extrême importance sur le plan linguistique, et ce y compris pour comprendre le Coran-même comme devaient le comprendre les premiers fidèles. L'appauvrissement de la langue poussant les fidèles à opter pour les interprétations les plus sévères pour des sujets devenus impossibles à trancher de façon claire.


E. Urgence de préserver le patrimoine islamique :


Il devient de plus en plus urgent de recenser et préserver les ouvrages et le patrimoine du monde musulman. Nombre de mosquées anciennes, de bâtiments divers, ponts, et autres ouvrages historiques sont anéantis du fait de guerres, de pillage ou encore d'une insoutenable négligence.

Il faudrait conscientiser le monde à ce sujet. Chose qui s'avère d'autant plus une mission improbable que l'islamité dérange nombre croissant de personnes  hostiles aux idées bien assises. 

Il faudrait d'autre part recenser les manuscrits musulmans orphelins qui tapissent dans des musées ou bibliothèques à travers le monde, en publier des copies afin de faciliter leur conservation à long terme.


Pour le Coran, il faudrait idéalement suivre la voie suivante :

1. Recenser et compiler des copies conformes de tout manuscrit et fragment, dans un ordre chronologique par degré d'ancienneté.

2. Établir une version académique (du ductus) accompagnant la version contemporaine, rajoutée des variantes, ainsi que de riches annotations permettant d'identifier les manuscrits pris en référence pour cette version scientifique du Coran.

3. Établir de même une version augmentée de cette version critique, avec la voyellisation, en notifiant minutieusement les manuscits de référence et les variantes.

4. Établir un dictionnaire (lexicologique) reprenant les racines utilisées à travers le Coran, afin d'en faciliter la compréhension.

5. Réaliser une analyse distributionelle systématique des significations et des champs sémantiques de l'intégralité de l'ouvrage afin de se fixer sur le sens visé originel des versets.

6. Renforcer cette démarche en prenant en considération la structure rhétorique et rédactionnelle montrée par Cuypers Michel afin d'en mieux cerner le sens synchronique.

Ainsi disposerions-nous enfin d'une version critique du Coran.


Pour les hadiths :

1. Il faudrait compiler des versions sérieuses des ouvrages classiques (kutūb as-sittah, kutūb al tis'ah, ...) indiquant les manuscrits employés et des références permettant d'identifier chaque source d'information.

2. Il faudrait réaliser une version universelle, académique sur les biographies des transmetteurs, les avis à leur sujets, et les critiques leur étant adressées.

3. Intégrer ces données dans des bases de données numériques afin d'en faire une analyse poussée et rigoureuse.

4. Recenser les mots employés à travers cette littérature, établir un dictionnaire dédié au contenu des hadiths.

5. Réaliser ensuite une reconstruction mathématique des hadiths suivant la méthode exposée au second article supra.


Concernant les ouvrages d'exégèse, jurisprudence, philosophiques etc., il faudrait en établir des version sérieuses indiquant les manuscrits de référence.


Il faudrait idéalement établir une plateforme numérique d'accès à ces archives, afin d'en favoriser la diffusion et l'accessibilité.


Concernant les constructions architecturales, il faudrait : 

1. Réaliser des versions numériques et des descriptions rigoureuses.

2. Les soumettre à la liste des monuments historiques patrimoine de l'humanité et du monde musulman afin de les protéger.

3. Idéalement, il faudrait faire des collectes afin de restaurer les monuments abîmés.

>> Faute d'une structure officielle prenant la charge de cette mission urgente, les personnes sensibilisées et volontaires pourraient réaliser ces tâches selon leurs moyens, et quand ils en ont l'opportunité. Car, si le monde ne réagit pas immédiatement, il y aura de grandes pertes dès les décennies qui viennent, vu l'état de guerre dans les quatre coins du monde musulman, et vu la négligence des cercles tant politiques qu'académiques. Déjà les pertes sont grandes à l'heure qu'il est.











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[1] Un article de Thomas Maria Weber dans ''L'Archéo Théma'' n° 9 (revue), juillet-août 2010, page 50-51. Archeodenum SAS. (ISSN 1969 - 1815).




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