mardi 31 janvier 2012

I. Paléo-Islam et Critique-Historique





Bonjour. Dans ce blog, je vais traiter de l'islam primitif et écrire à son sujet suivant les méthodes académiques modernes et la critique historique.

Le livre :  Paleo Islam.




I-1. Les Progrès en Linguistique et en Sémantique Cognitive : 

Les progrès considérables en linguistique et en sémantique cognitive ont permis de révolutionner la critique historique. La prise de conscience de la place de la dérive sémantique et de la cognition humaine dans la perception du monde nous a ouvert de nouvelles fenêtres inédites sur notre vision de l'histoire. Il serait bien vain d'ignorer ainsi la synchronie et la diachronie dans l'étude des récits anciens, de négliger la réinterprétation perpétuelle des témoignages anciens à travers le prisme socio-anthropologique de l'époque dans laquelle nous vivons. Or, les textes fondateurs, et les ouvrages classiques anciens n'échappent pas à cette dérive et ces interprétations continuelles, en sorte que l'islam aussi se révèle, lors d'une étude historico-critique rigoureuse, s'être graduellement éloigné de sa forme primitive.





I-2. Critique Interne et Critique Externe :
 
La transmission des hadiths par leur sens (riwāyah bi'l māˤna) ou avec des rajouts (idrāʤ) au fil des générations a conduit à une augmentation numérique des hadiths. Nous allons au gré des articles montrer comment les méthodes modernes de critique interne et externe des sources et la critique historique permettent de reconstituer les récits sur base de l'analyse systématique des variantes, et voir comme les usages et coutumes ont influencé le paléo-islam et en ont graduellement éloigné les populations musulmanes au fil du temps et des changements de contextes socio-anthropologiques.


I-3. Islam Intérieur et Contexte Socio-Anthropologique :

La conception plus intérieure et spirituelle de l'islam de l'époque de Muhammad, a en effet progressivement évolué au fil des conditions socio-politiques vers une approche de plus en plus temporelle ; la croissance démographique et les conflits politiques ont conduit l'islam a évoluer insensiblement vers un système de plus en plus orthopraxique. Dès l'époque d'abū Bakr débutèrent ainsi des conflits comme le refus de payer la zakāt. Umar ibn al-Khattab, initia sous son règne des réformes profondes changeant considérablement le visage de l'islam politique. De même, à l'époque d'Uthman ibn Affān, d'Ali ibn abī Tālib et de Mu'awiya, des concepts théologico-politiques de plus en plus marqués s'instituèrent, entérinant des usages en vigueur comme des valeurs proprement islamiques, extrapolant d'autre part le moindre fait et geste du Prophète à des situations de plus en plus éloignées de leur contexte originel, pour y rechercher des règles absolues. Il est notable, qu'il n'est pas exact de parler d'un état dans le sens moderne pour l'époque du Prophète. Et ce, même si celui-ci était un leader charismatique gérant dans les faits l'économie, les conflits militaires ou les litiges en sorte d'instituer des valeur supra-tribales de plus en plus étendues. En réalité, les problèmes ressortent comme étant résolus de façon ponctuelle, sans véritablement instaurer un état structuré, dans le sens moderne du terme.

Certes, le Prophète fera fabriquer un sceau pour rédiger des lettres officielles à plusieurs dirigents d'états, mais pour autant son pouvoir était davantage céleste que matériel. Ainsi abū Sufyān aurait dit à Ali, en voyant les troupes musulmanes encerclant la Mecque, que le fils de son oncle a institué un grand royaume, et Ali lui aurait répliqué : "C'est là un règne prophétique, non un royaume". Lorsque les musulmans augmentèrent en nombre, de nouvelles populations et groupements ethniques s'ajoutant à la communauté grandissante, de nouvelles appréhensions de l'islam se mirent à influencer progressivement l'évolution de l'islam. Il semblerait que c'est du temps d'Umar qu'un état commença à véritablement se constituer. La notion de sunnah aussi s'installera dans son sens moderne vers cette période (tandis que ce terme signifiait jusque là un concept plus diffus, comme les notions de bonne sunnah ou mauvaise sunnah, ainsi que de bonne bidˤah ou mauvaise bidˤah ou "innovation"). Les premières générations parlaient ainsi bien de sunnah des Califes, des chrétiens, ou même de Dieu. Autrement dit, la signification originelle du terme sunnah qui dans l'esprit des plus anciens Sahabas signifiait l'idée de règles, usages et coutumes à suivre (maʔrūf, ce qui est connu), la notion de sunnah et de charia commencèrent à se concevoir davantage dans leurs formes que dans leurs fonds. Cherchant désormais à fonder toute chose sur une sunnah, considérée comme auto-suffisante. Ainsi, la maîtrise de la finalité des pratiques du Prophète par les anciens Sahabas, ayant été témoins des événements fondateurs depuis le commencement, cédait progressivement la place à une approche plus superficielle chez les jeunes Sahabas.


I-4. L'Influence Prépondérante de la Seconde Génération :

Ainsi, l'influence prépondérante des jeunes Sahabas qui étendaient la moindre parole ou action du Prophète à des situations de plus en plus éloignées du contexte originel par extrapolation, conduisait l'islam à s'éloigner de sa simplicité et son naturel primitif, pour prendre une apparence orthopraxique qui sera de plus en plus caractéristique. Or, les Sahabas qui institueront le nouvel islam ne maitrisaient pas la causalité et les finalités des agissements du Prophète car ils étaient trop jeunes du vivant de celui-ci. ibn Umar, qui est l'une des personnes les plus influentes dans l'institution de l'islam d'après Muhammad, est ainsi né en 614 ayant ainsi tout juste 18 ans  au décès du Prophète, Abdullah ibn Abbas étant né en 619 en avait alors seulement 13, et Abdullah ibn Zubayr né en 624 -soit deux ans après l'hégire- avait à peine 8 ans, tandis qu'abu Hurayra né en 603 avait rencontré l'islam lors de l'assiègement de Khaybar en 628 âgé de 30 ans et n'a véritablement fréquenté le prophète que quatre ans environs... Dans ce blog, nous allons nous pencher et analyser cette évolution islamique constituant une charnière dans l'histoire du monde musulman. 




Sur la carte ci-dessus, nous voyons l'extension du monde musulman du foncé vers le clair; depuis l'époque du Prophète décédé en 632 (vert le plus foncé), des quatre Caliphes entre 632-661 et en vert clair les régions islamisées à lépoque des omeyyades entre 661-750. Comme nous pouvons le voir, seulement une trentaine d'années après le décès du Prophète le monde musulman s'étendait et incluait déjà de nombreuses populations diverses de cultures très variables, ce qui ne pouvait qu'influencer la perception de l'islam par régions.

Cette extension rapide a conduit naturellement à l'apparition de situations nouvelles à mesure de l'éloignement du contexte socio-économique de Yathrib du temps du Prophète, la zakāt, les résolutions de litiges limitées à la situation de Yathrib et la tendance des jeunes Sahabas de rechercher absolument un fondement dans les usages du Messager pour toute situation nouvelle, jouait ainsi un rôle central dans la transmission des hadiths avec des interpétations propres, conduisant à leur démultiplication les éloignant de plus en plus de leur version originelle, et les version transmises selon les interprétations personnelles étant à leur tour également interprétés et transmis encore suivrant d'autres variables. Cela conduisit par conséquent à une démultiplication des hadiths, et des approches jurisprudencielles, en sorte qu'il ne restait strictement aucun sujet qui fasse l'unanimité. Et du temps de Hārun al-Rachid, quatre écoles considérées proches les unes des autres furent canonisées. De cette façon, une personne s'appuyant sur une fatwa d'un savant ne se trouvait plus condamné par un autre savant de vision opposée. Dans ce blog, nous allons rédiger des articles et analyser ces étapes selon la méthode historico-critique, la contextualisation socio-anthropologique et présenter l'islam primitif de façon critique et vérifiable.





lundi 30 janvier 2012

II. Notion de Hadith et Paleo-Islam



A. Introduction :

La place des hadiths en islam est fondamentale et centrale. Nous allons présenter la thèse de doctorat du Dr. Bünyamin Erul touchant la notion de Sunnah chez les Sahabas dans un autre article. Avant cela, nous allons aborder la question de la méthodologie et la critique du hadith. Comment détermine-t-on la fiabilité d'un hadith, que signifie la qualification d'un hadith comme aħiħ ? Quelle est la différence entre le xabar aħad et le ħadiθ mutawātir ? Présentons d'abord la méthodologie du hadith, sans nous étendre sur toutes les subtilités de la méthode du hadith.

Classiquement, un hadith est retenu comme sain (sˁaħiħ) lorsqu'il répond aux cinq critères suivants :

1. Il doit remonter jusqu'au Prophète,
2. Il doit être ininterrompu,
3. Chaque maillon doit être reconnu comme juste par ses pairs*,
4. Chaque maillon doit être reconnu pour avoir une bonne mémoire par ses pairs*,
5. Le hadith ne doit pas comporter une autre défaillance identifiable que ces quatre critères susmentionnés.

* Les pairs, c'est-à-dire des chroniqueurs contemporains qui ont fréquenté ceux-ci dans les cercles des mémorisateurs.



B. Critères d'authenticité fluctuants :

Il est à souligner que la qualification d'un hadith comme fiable ou ahih par un spécialiste ne signifie pas que tous les spécialistes le considèrent également comme fiable. La majorité des spécialistes du hadith considèrent les transmetteurs (rāwi) des chaînes de transmissions (isnād) indéterminés (maʤhul) comme acceptables ; le fait qu'ils ne soient pas répertoriés comme non fiables leur permet de les tenir pour fiables par défaut. Cependant, d'autres spécialistes, à l'instar de Muslim ibn Hajjaj, considéraient par contre ceux-ci comme douteux et n'acceptaient pas leurs hadiths comme fiables. Selon ceux-ci, le fait que ces transmetteurs inconnus ne soient pas identifiés comme non-fiables ne suffit pas à les rendre fiables, et il faut pouvoir identifier chaque maillon de la chaîne de transmetteurs comme fiable. Muhammad ibn Ismail al-Bukhari exigeait par ailleurs, en plus de la nécessité d'identifier tous les maillons comme fiables, de pouvoir confirmer que chaque maillon a bien rencontré au moins une fois le maillon précédant. Ne se contentant pas de ce que leurs dates de naissance et de décès se recoupent juste sur le plan chronologique.

Concept de l'unité - Rendu 3D, cercle de personnes d'origines ethniques différentes, main dans la main. Banque d'images - 9710440 

Si un petit texte est présenté à une personne parmi un cercle de volontaires, en sorte que celui-ci le transmette discrètement dans l'oreille de la personne juste à sa droite, et ainsi de suite jusqu'à ce que le message lui revienne en faisant le tour du cercle, un tel exercice montrera une altération du récit au fil de la transmission. Une telle altération est inévitable lors d'une transmission orale après plusieurs maillons si il n'y a pas de feed-back systématique à chaque étape.



C. Variantes, Xabar Aħad et Mutāwatir :

De par leur transmission interprétative jusqu'à leur fixation par écrit, les hadiths ont dérivé vers de multiples variantes. Ainsi, les hadiths ont formé de multiples versions et variantes et ont augmenté en nombre au fil du temps. Lorsqu'un récit est transmis par différentes voies, il peut par exemple arriver que sept de ces versions se ressemblent, et qu'une huitième version en diffère et reste secondaire (ʃāð) : en sorte que cette version secondaire doive être rejetée, même si la chaîne de transmission est considérée techniquement comme fiable. Autrement dit, la chaîne des transmetteurs est acceptable, mais le contenu sera rejeté. Si le récit parvient pas différentes voies de façon instable, celui-ci sera considéré trouble (muðˤtˁarib), et toutes les versions seront rejetées à défaut de pouvoir les trier en sorte à en mettre un plus en avant. Cependant, si un hadith nous parvient selon un seul Sahaba ou un petit nombre de Sahabas, celui-ci sera tenu pour isolé (aħad). Cela induisant dans sa transmission, une faiblesse. Du fait que celui-ci, quoi que transmis selon des chaînes aux maillons tenus fiables, peut se trouver en principe dans l'état du hadith secondaire (ʃāð) vu plus haut. Pour cette raison, certains savants considèrent ces récits isolés comme non fiables pour fonder des croyances ou doctrines religieuses, exigeant des hadiths mutāwatir.

Mutāwatir signifiant, l'uniformité ou la convergence d'un hadith prophétique transmis par tant de voies différentes, qu'il soit totalement exclu de concevoir un complot à son sujet". Pour qualifier un hadith de mutāwatir, les spécialistes on conçus divers critères. De par le caractère nébuleux du nombre de recoupements suffisant pour qu'une erreur ne puisse pas s'être formée a conduit les spécialistes à exiger que pour qu'un hadith soit tenu pour mutāwatir il faille à chaque maillon, depuis les Sahabas jusqu'à la fixation par écrit, au minimum : 4, 5, 10, 12, 20, 40, 70 ou 300 témoins. La tendance générale étant d'exiger à chaque maillon dix confirmations. On distingue par ailleurs le mutāwatir dans le fond, et le mutāwatir dans la forme. La version dans le fond signifiant le recoupement dans le sens, tandis que le mutāwatir dans la forme doit se détenir avec les mêmes propos. Or, nous ne pouvons trouver aucun hadith mutāwatir dans la forme. Tandis que nous connaissons des mutāwatir dans le fond, quoi qu'en fort petit nombre : variable selon le niveau d'exigence. Certains spécialistes n'exigent pas que les chaînes de transmissions de chacune de ces versions soit fondée comme fiable, et soutiennent parfois un ensemble de récits faibles convergeant vers une même idée comme un cas fiable, voire parfois selon certains : mutāwatir. Cela est, comme la reconnaissance par défaut d'un rawi non identifié comme valable non soutenable, car des usages d'origine exogène peuvent devenir courants sans émaner de l'autorité du Prophète.

Les chaînes de transmetteurs tenus pour fiables les plus courtes qui sont fixées sont composées d'au moins quatre maillons. Ainsi, l'exigence minimale de quatre témoins à chaque maillon pour tenir un récit comme mutāwatir, il faut détenir au minimum 256 variantes suivant la structure (4x4x4x4), toutes détenues avec des chaînes de transmetteurs fiables. En pratique, nous ne détenons aucun hadith répondant à cette exigence minimale stable dans la forme, tandis que les cas de récit se recoupant dans le fond se rapprochent de ce critère minimal, mais avec des recoupements des chaînes les unes avec les autres de façon transversales. Pour cette raison, les spécialistes demeurent très souples dans ce domaine. Si nous prenons pour base, la version théorique de 10 témoins totalement distincts à chaque maillons comme soutenu généralement dans les manuels théoriques, cela nécessiterait 10.000 versions totalement distinctes détenus par respectivement 10 Sahabas, 100 Tabi'i, 1000 Etba'i tabi'i et 10.000 Etba'i atba tous tenus pour fiables : ce qui est de fait improbable. Par contre, si nous acceptons que les chaînes doivent être composées de maillons strictement différents se limitant au nombre des versions, cela devient accessible.

Or, en suivant un raisonnement similaire, certains savants tiennent des hadiths aux chaînes de transmissions faibles voire inexistantes comme aħiħ li-ɣayrihi ou ħassan li-ɣayrihi, ou fiables/bons par défaut, en appuyant le fond par des hadiths tenus pour fiables. Ou parfois même à présenter certains hadiths aux chaînes irrégulières comme mutāwatir. Ou alors, en retenant un tel hadith pour faible suivant une partie de son contenu appuyé par un autre hadith tenu pour fiable, certains en viennent à tenir la partie non fondée de ces hadiths comme également fiable. Pourtant, le fait qu'une partie d'un récit transmis suivant une chaîne irrégulière et douteuse rejoigne un hadith tenu pour fiable, ne signifie pas que la partie non fondée de son contenu en devienne fiable par magie ou contagion. Même si un faisceau de chaînes fiables peut fort bien conforter une chaîne défaillante sur la partie consolidée.

Quand aux chaînes discutées dont les récits convergent, il semble plausible d'en accepter suivant certains critères. Comme le fait que rien ne tende à concevoir que les chaînes se recoupent de façon voilée. Par exemple, si des narrateurs ont été accusés de dissimulations de maillons critiqués tadlīs.



D. Approche mathématique des hadiths :

Il y a un moyen de vérifier la fiabilité des hadiths sur base des mathématiques. En effet, la langue de rédaction des récits est l'arabe, or la langue arabe a la particularité de se composer de racines bi-, tri- ou quadrilitères. Or, il est établi sur base du comptage des racines recensées dans le fammeux Qāmus al Muħīt (XIVeS), qu'il existe au moins 9.273 racines distinctes en langue arabe médiévale [1]. Le nombre de racines en langue arabe au VIIeS pouvant être inférieur, équivalant ou supérieur à celui du temps de la rédaction de ce dictionnaire, or il ne faut pas oublier que la détention matérielle des hadiths est contemporaine de ce dictionnaire de référence susmentionné. Il est intéressant de souligner que le nombre de racines utilisées dans le Coran est de 1.726. Sur cette base, sans même élargir l'analyse à la grammaire ou la syntaxe, il devient possible d'établir un calcul probabiliste sur le niveau de fiabilité d'un hadith, dès qu'il est transmis au moins par deux voies distinctes et indépendantes. Par exemple, une phrase comportant 10 racines identiques transmise par trois voies distinctes et indépendantes les unes des autres a une probabilité de 1/9.27310e3, soit 1/1,039 x 10119 d'avoir pu avoir été imaginé séparément, sur base des racines existantes disponibles en langue arabe selon l'estimation haute (9.273 racines) ou alors 1/1.72610e3, soit 1.292  1097 selon l'estimation basse (1.726 racines). Une telle coïncidence est si faible, que dans le deux cas de figures, il devient évident qu'un tel hadith doit remonter à une source commune, ici, chez le Prophète. Pour avoir un ordre d'idée, il existe 1078 atomes dans l'Univers observable. Et le volume de l'univers observable en nombre de volumes de protons est de l'ordre de 10122.

Sans étendre l'analyse à la structure des récits, sur seule base du nombre des racines, il devient permis de vérifier la fiabilité d'un hadith de façon absolue. Nous pourrions nous interroger sur la prise en compte de la fréquence d'utilisation variable des racines en langue arabe, or, techniquement les hadiths étudiés se trouvent toujours dans le nombre de phases permises à partir de ces racines. La fréquence d'usage des mots change selon l'échantillonnage, le type de textes et les époques. Nous estimons à plusieurs millions de mots existants en langue arabe. Concrètement nous disposons d'au moins 9 273 racines distinctes, déclinables en schèmes sous jusqu'à plusieurs centaines de formes (nom, verbe, adjectif, adverbe, ...). Nous nous situons en amont d'une analyse de la syntaxe et de la grammaire, de l'ordre des racines et de leur organisation, et nous bornons sur des propos originaux et non courants. 

Une autre démarche mathématique consiste à évaluer les termes de syntaxe des 9 273 racines distinctement des autres. Si nous considérons les particules de syntaxe au nombre de 273 [note], pour une phrase de par exemple 20 mots, et 6 particules nous obtenons 9 00014 x 2736 = 1.03*1073. Avec deux voies indépendantes cela donne alors: 1/1.06*10146, et avec trois sources indépendantes, nous arrivons déjà à 1/1,09*10219

Une troisième démarche consiste à simplement ignorer les particules syntaxiques, et juste comptabiliser les mots restants. Pour l'exemple supra, cela donne 1/[(9 00014)2] = 1/5,23 *10110, pour deux voies distinctes et 1/[(9 00014)2] = 1/4,24 *10118 avec trois voies distinctes.

Or, il n'est pas techniquement nécessaire de trouver le nombre de phrases absolues générables en langue arabe pour s'assurer qu'il n'y a pas de coïncidence soutenable dans la répétition d'un hadith de quelques mots, avec des propos originaux, c'est-à-dire non usuels. En effet, la richesse de vocabulaire en langue arabe est très élevée, or, même en nous arrêtant à un seuil bas à l'absurde de 500 racines en tout, avec un hadith d'à peine 3 mots transmis par seulement deux voies indifférentes nous arrivons déjà à une probabilité de 1/1.56*1016. Notre objectif de vérification mathématique est dès lors largement atteint par notre approche. 



D.1. Exemple d'analyse :

(1) Selon Abdallah ibn Mas'ud.

حَدَّثَنَا أَبُو بَكْرِ بْنُ أَبِي شَيْبَةَ، حَدَّثَنَا حَفْصُ بْنُ غِيَاثٍ، وَأَبُو مُعَاوِيَةَ وَوَكِيعٌ عَنِ الأَعْمَشِ، عَنْ عَبْدِ اللَّهِ بْنِ مُرَّةَ، عَنْ مَسْرُوقٍ، عَنْ عَبْدِ اللَّهِ، قَالَ قَالَ رَسُولُ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم ‏ "‏ لاَ يَحِلُّ دَمُ امْرِئٍ مُسْلِمٍ يَشْهَدُ أَنْ لاَ إِلَهَ إِلاَّ اللَّهُ وَأَنِّي رَسُولُ اللَّهِ إِلاَّ بِإِحْدَى ثَلاَثٍ الثَّيِّبُ الزَّانِ وَالنَّفْسُ بِالنَّفْسِ وَالتَّارِكُ لِدِينِهِ الْمُفَارِقُ لِلْجَمَاعَةِ ‏"‏ ‏.‏


(2) Selon Aïcha bint abu Bakr :

حَدَّثَنَا مُحَمَّدُ بْنُ سِنَانٍ الْبَاهِلِيُّ، حَدَّثَنَا إِبْرَاهِيمُ بْنُ طَهْمَانَ، عَنْ عَبْدِ الْعَزِيزِ بْنِ رُفَيْعٍ، عَنْ عُبَيْدِ بْنِ عُمَيْرٍ، عَنْ عَائِشَةَ، رضى الله عنها قَالَتْ قَالَ رَسُولُ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم ‏ "لاَ يَحِلُّ دَمُ امْرِئٍ مُسْلِمٍ يَشْهَدُ أَنْ لاَ إِلَهَ إِلاَّ اللَّهُ وَأَنَّ مُحَمَّدًا رَسُولُ اللَّهِ إِلاَّ بِإِحْدَى ثَلاَثٍ رَجُلٌ زَنَى بَعْدَ إِحْصَانٍ فَإِنَّهُ يُرْجَمُ وَرَجُلٌ خَرَجَ مُحَارِبًا لِلَّهِ وَرَسُولِهِ فَإِنَّهُ يُقْتَلُ أَوْ يُصْلَبُ أَوْ يُنْفَى مِنَ الأَرْضِ أَوْ يَقْتُلُ نَفْسًا فَيُقْتَلُ بِهَا ‏"‏ ‏.‏


(3) Selon Uthman ibn Affān.

أَخْبَرَنَا مُؤَمَّلُ بْنُ إِهَابٍ، قَالَ حَدَّثَنَا عَبْدُ الرَّزَّاقِ، قَالَ أَخْبَرَنِي ابْنُ جُرَيْجٍ، عَنْ أَبِي النَّضْرِ، عَنْ بُسْرِ بْنِ سَعِيدٍ، عَنْ عُثْمَانَ بْنِ عَفَّانَ، قَالَ سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم يَقُولُ ‏ "‏  لاَ يَحِلُّ دَمُ امْرِئٍ مُسْلِمٍ إِلاَّ بِثَلاَثٍ أَنْ يَزْنِيَ بَعْدَ مَا أُحْصِنَ أَوْ يَقْتُلَ إِنْسَانًا فَيُقْتَلُ أَوْ يَكْفُرَ بَعْدَ إِسْلاَمِهِ فَيُقْتَلُ ‏"‏ ‏.‏


(3') Selon Abdallah ibn Umar, via Uthman ibn Affān.

أَخْبَرَنَا أَبُو الأَزْهَرِ، أَحْمَدُ بْنُ الأَزْهَرِ النَّيْسَابُورِيُّ قَالَ حَدَّثَنَا إِسْحَاقُ بْنُ سُلَيْمَانَ الرَّازِيُّ، قَالَ أَنْبَأَنَا الْمُغِيرَةُ بْنُ مُسْلِمٍ، عَنْ مَطَرٍ الْوَرَّاقِ، عَنْ نَافِعٍ، عَنِ ابْنِ عُمَرَ، أَنَّ عُثْمَانَ، قَالَ سَمِعْتُ رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه وسلم يَقُولُ ‏ "‏ لاَ يَحِلُّ دَمُ امْرِئٍ مُسْلِمٍ إِلاَّ بِإِحْدَى ثَلاَثٍ رَجُلٌ زَنَى بَعْدَ إِحْصَانِهِ فَعَلَيْهِ الرَّجْمُ أَوْ قَتَلَ عَمْدًا فَعَلَيْهِ الْقَوَدُ أَوِ ارْتَدَّ بَعْدَ إِسْلاَمِهِ فَعَلَيْهِ الْقَتْلُ ‏"‏ ‏.‏



D.2. Reconstruction :

لاَ يَحِلُّ

دَمُ امْرِئٍ مُسْلِمٍ إِلاَّ بِإِحْدَىثَلاَثٍ يَزْنِيَ بَعْدَ 
إِحْصَانِهِ أَوْ يَقْتُلَ نَفْسًا أَوْ ارْتَدَّ/خَرَجَ/ يَكْفُرَ  لِدِينِهِ/بَعْدَ إِسْلاَم

□ Cette version reconstruite de 18 mots doit être la version originale du hadith. Un est partagé par deux voies, 15 par trois voies distinctes. Deux termes se retrouvent en synonymie (irtadda/xaraga/yakfura) & (islāmihi/al-dīn). La probabilité d'aboutir à ces trois récits est par conséquent de respectivement 1/(1.72615e3 × 1.7262) = 1/1,383 x 10145 à 1/(9.27315e3 × 9.2732) = 1/2,879 x 10186. Cette probabilité est extrêmement mince dans les deux cas. Ce hadith est par conséquent original de façon quasi certaine. À titre de comparaison, la partie observable de l'univers équivaut en volumes de Planck à 10185.

□ Pour avoir un ordre d'idée de la fiabilité mathématique de ce hadith, imaginez que nous placions 5 phrases en arabe de 18 mots dans chaque volume de Planck de l'univers observable, et que nous cherchions à tomber sur ce hadith du premier coup. 

□ Le sens de la troisième partie est de même retenue fermement, mais les mots exacts d'origine ne sont pas décidables.



D.3. Méthodologie de reconstruction isnād-cum-matn :


Selon les chroniqueurs médiévaux, le nombre de hadiths existants au premier siècle hégirien tournerait autour de 500.000 à 600.000 variantes. En prenant l'estimation la plus haute de 1.500.000 de variantes ayant jamais existé [2], et sachant que leur nombre retenu à travers les compilations existantes ce nombre tourne autour de 40.000 hadiths, il devient pertinent de reconstruire un récit suivant le procédé suivant.

Lorsqu'un récit nous parvient par différentes voies, il faut recouper les récits par voies distinctes de chaînes de transmission. Il est intéressant de compléter cette méthode analytique, avec l'approche probabiliste de la fiabilité des rapporteurs développée par H. Aydemir [3]. Lorsqu'un mot se retrouve sur au moins deux voies distinctes, il faut le retenir, de même, si il y a des synonymes, il faut les notifier. Ainsi, il devient possible de retrouver le récit d'origine par une méthodologie appuyée par les mathématiques. 

En effet, la probabilité que deux racines se retrouvent, dans deux variantes d'un récit parallèle, à travers deux voies de transmissions distinctes est au minimum de 1/1.7264, soit 1/8.874.893.813.776. Cela équivaut à un taux de 1,69 x 10-7 % de tomber sur cette convergence par hasard avec la génération de 1.500.000 récits indépendants, et sur base de 1.726 racines. Les récits reconstitués s'en retrouvent souvent réduits et raccourcis, mais la reconstruction aboutit à une variante dont le niveau de fiabilité s'évalue scientifiquement selon des critères rigoureux et vérifiables.

Pour rappel, en physique des particules, pour accepter l'existence d'une particule prédite par un théoricien, il est exigé d'arriver à une espérance de 5 σ, ou écart-type. Ce qui correspond à un taux d'erreur acceptable jusqu'à 0,00006%. Soit 4/10.000.000. Notre méthode mathématique de reconstruction des hadiths est donc puissante sur le plan scientifique.

Néanmoins, notre méthode n'est valable que pour les hadiths réunissant certains critères, à savoir : 1. consister en des propos directement attribuées au Messager, 2  Être retenu par au moins deux voies distinctes indifférentes, 3. Les chaînes de transmissions doivent respecter les critères suffisants pour vérifier la source de bout en bout. 

Or, la méthode peut être étendue de façon analytique à des affirmations sur des faits et/ou gestes attribuées au Prophète, en respectant les trois conditions supra. Pour cela, il faudra déconstruire les affirmations en une suite logique rigoureuse d'articulations sémantiques décrivant en détails ce qui est rapporté, que nous pouvons nommer phylogénie pragmatique. Par exemple, si nous obtenons une suite A+B+C+D+E+F+G+H+I, par quinze voies distinctes, la probabilité de coïncidence sera de 1/915, soit 1/2,059 x 1014. Une pratique musulmane répandue peut être due à une influence tierce, comme une personnalité influente en dehors du Prophète. C'est pourquoi le système de transmetteurs identifiés a toute son importance dans cette recherche.



E. Manuscrits des compilations de hadiths : 

Chronologiquement, les manuscrits encore détenus des ouvrages de hadiths classiques ne remontent pas jusqu'au moment de leur compilation. Il arrive que nous puissions relever des points de divergences parmi les différents manuscrits de ces ouvrages de référence. Ainsi, le ʤāmiʔul aħīħ d'al-Bukhari nous parvient via ibn Hajar et via Ayni suivant des chaînes de transmissions séparées, et le plus ancien manuscrit encore existant est daté du XVeS. Les deux versions différant tout de même en quelques dixaines de points, certes non conséquents. De même, le sunan de Tirmidhi est tenu sous différentes versions.

Techniquement, il est exigé pour accepter ces ouvrages, que nous disposions de trois manuscrits distincts se confortant mutuellement. Que ces manuscrits remontent à la même époque n'étant pas exigée.

La nécessité de faire une analyse textuelle suivant les différentes voies de transmissions exigeant de gommer ces déformations de façon systématique, et de reconstruire les récits originaux de façon vérifiable et mesurable.



F. Rejeter un xabar aħad est-ce mécroire ?

Rejeter un xabar aħad n'exclut pas un fidèle de l'islam de l'avis de la majorité écrasante des savants. Par ailleurs, les Sahabas aussi en arrivaient à rejeter certains hadiths transmis par d'autres Sahabas qu'ils n'avaient pas entendus personnellement et leur semblant être une erreur de leurs amis. De même, les fondateurs des écoles de jurisprudence aussi en arrivaient régulièrement à rejeter des xabar aħad.

Cependant, railler le contenu d'un tel récit, n'est conforme ni à l'esprit scientifique, ni à la raison, ni au comportement exigé d'un musulman. D'autant plus qu'il n'y a jamais de certitude absolue de ce que le contenu ne puisse pas malgré tout avoir une part de réalité.



G. La question de l'abrogation et résolutions de problèmes au cas par cas : 

Il existe des hadiths qualifiés abusément comme abrogés. Historiquement, les personnes venant chez le Prophète pour la résolution de leurs problèmes étaient considérées selon leurs situations spécifiques. Or, le cas d'une personne peut changer selon le milieu. Ou bien, le fait d'uriner en position debout devant un tas d'immondices, ou de défequer étant tourné vers la Ka'ba ou Jérusalem en se cachant des vues au milieu d'un tas de pierres, a pu être considéré parfois comme un élément abrogeant la prohibition de ces actions. Tandis que la pratique d'un hadith tenu pour "abrogé" lorsqu'on se trouve dans la même situation ayant conduit à son avènement devrait être convenable ?

Ainsi, la personne ayant bu ne peut pas prier avant de devenir sobre, dès lors comment considérer le verset instruisant cette règle abrogée ? Lorsque les conditions d'une situations rejoignent celles de l'avènement d'un hadith, sa pratique devra de même être acceptable. La tendance à vouloir extrapoler les hadiths pour en déduire des règles de plus en plus générales a ainsi conduit la jursisprudence islamique à devoir élaguer de nombreux hadiths qui sont tout aussi fiables que d'autres étant tenus comme fondés.



H. Hésitation à discuter les avis et paroles des Sahabas : 

وَالسَّابِقُونَ الأَوَّلُونَ مِنَ الْمُهَاجِرِينَ وَالأَنصَارِ وَالَّذِينَ اتَّبَعُوهُم بِإِحْسَانٍ رَّضِيَ اللّهُ عَنْهُمْ وَرَضُواْ عَنْهُ وَأَعَدَّ لَهُمْ جَنَّاتٍ تَجْرِي تَحْتَهَا الأَنْهَارُ خَالِدِينَ فِيهَا أَبَدًا ذَلِكَ الْفَوْزُ الْعَظِ
 

(9:100) : "Les tout premiers [croyants] parmi les Emigrés et les Auxiliaires et ceux qui les ont suivis dans un beau comportement, Allah les agrée, et ils l’agréent. Il a préparé pour eux des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, et ils y demeureront éternellement. Voilà l’énorme succès."


Est-il acceptable de rejeter des avis de Sahabas qui ne se fondent pas sur le Coran ou des enseignements propres du Prophète ? Puisque le verset ci-dessus exprime que leur comportement est exemplaire pour les musulmans ?

Relisons ce verset dans son contexte avec les versets précédants et suivants ; (9:97-101) : "Les Bédouins sont plus endurcis dans leur impiété et dans leur hypocrisie, et les plus enclins à méconnaître les préceptes qu’Allah a révélés à Son messager. Et Allah est Omniscient et Sage. Parmi les Bédouins, certains prennent leur dépense (en aumône ou à la guerre) comme une charge onéreuse, et attendent pour vous un revers de fortune. Que le malheur retombe sur eux ! Allah est Audient et Omniscient. (Tel autre,) parmi les Bédouins, croit en Allah et au Jour dernier et prend ce qu’il dépense comme moyen de se rapprocher d’Allah et afin de bénéficier des invocations du Messager. C’est vraiment pour eux (un moyen) de se rapprocher (d’Allah) et Allah les admettra en Sa miséricorde. Car Allah est Pardonneur et Miséricordieux. Les tout premiers [croyants] parmi les Emigrés et les Auxiliaires et ceux qui les ont suivis dans un beau comportement, Allah les agrée, et ils L’agréent. Il a préparé pour eux des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, et ils y demeureront éternellement. Voilà l’énorme succès ! Et parmi les Bédouins qui vous entourent, il y a des hypocrites, tout comme une partie des habitants de Médine. Ils s’obstinent dans l’hypocrisie. Tu ne les connais pas mais Nous les connaissons. Nous les châtierons deux fois puis ils seront ramenés vers un énorme châtiment."


Il est évident que la prise des Sahabas comme exemple soit nécessaire suivant le Coran. Mais cela ne peut être pensé comme une immunité chez ceux-ci contre l'erreur ou l'imperfection. En effet les suivre, signifie les suivre dans leur conformité aux critères islamiques et leur fidélité au Prophète Muhammad, de par leur soutien et leur engagement envers ses recommandations, et pas pour leurs opinions personnelles et propres. Ainsi, les Sahabas ont pu par moment, tandis que le Prophète se tenait au milieu d'eux, lui demander : "Ô Messager, est-ce là ton opinion personnelle ou un commandement émanant de Dieu ?". De même, une fois, le Prophète leur dit : "Attachez-vous fermement à ce que je vous recommande en matière de religion, quant à vos affaires mondaines, vous êtes plus savants". (Muslim, Fadail ; ibn Hanbal, Musned ; ibn Maja)

Dans ce cas, les positions politiques et sociologiques des Sahabas peuvent ne pas être suivies si la conjoncture socio-antropolologique a conduit à des changements dans les moeurs ou les usages.







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[1] A. Chafīk el-Khatīb, “Al-Muwāsˁafātu’l-Musˁtˁalāxiyyah wa tˁatbīqātuhâ fi’l-Luɣa-ti’l-ʔˤrabiyyah”, (el-Luɣatu’l-ʔˤabiyyah wa Taħaddiyātu’l-Qarni’l-Hādī wa’l-‘iʃrīn), ed. el-Munaddametu’l-ʔˤrabiyyah li’t-Tarbiyah wa’s-θaqāfe wa’l-ʔUlûm. Tunis, 1996, p. 18.

[2] Mustafa Karataş, Rivayet Tekniği Açısından Hadislerin Artması ve Sayısı, Thèse de doctorat, Istanbul, 1998, pp. 230-231.

[3] Halis  Aydemir, “A  Theoretical Approach to the System of Transmission of Hadīth  Based on  Probability Calculations”,  Hadis Tetkikleri  Dergisi  (HTD), III/1, 2005, pp. 39-72.



dimanche 29 janvier 2012

III. Exégèse Coranique et Rhétorique Sémitique



I . Introduction :

L'étude du Coran par la démarche linguistique est un domaine très fructueux, du fait des avancées en la matière. Ainsi, le problème de la multiplicité des interprétations plausibles du Coran, dont presque chaque mot dont il fait usage est polysémique se résout avec la méthode de l'analyse distributionnelle des champs sémantiques et des significations de chaque terme choisi à travers l'entièreté du Coran [1]. Ainsi, il devient possible de nous fixer sur le sens le plus cohérent de strictement chaque mot du Coran, en recoupant les sens multiples de chaque mot du Coran avec tous les autres, suivant son contexte débutant au sein du verset où celui-ci se trouve, du paragraphe exact, de la sourate concernée, jusqu'à l'entièreté du Coran. En prenant pour principe que le Coran est un livre cohérent ne comportant pas de contradiction interne.



"S'il provenait d'un autre que Dieu, ils y trouveraient certes maintes contradictions." (4:82)


Un domaine très riche, pour la bonne compréhension du Coran par la démarche linguistique, est l'approche par la rhétorique sémitique. La sémantique sous-jascente aux sourates coraniques se doit d'être bien contextualisée pour en maîtriser le sens originel. La présentation en profondeur de toutes les dimensions de ce domaine dans cet article n'est pas possible, mais ne pas aborder cela aurait été un grand vide dans notre approche traitant de l'islam primitif. Nous allons donc brièvement aborder ce sujet et le présenter en guise de prise de conscience de son importance capitale qui est l'une des lignes de recherches directives sous-jascentes à nos recherches partagées traitant du paleo-islam.


II. Cosmogonie Coranique et Rhétorique Sémitique :

Un exemple de mécompréhension au sujet du Coran est là question de la cosmogonie, et les récits de la Genèse selon celui-ci, qui s'est naturellement installée du fait de l'ignorance de la rhétorique sémitique.

En effet, tout comme l'absence de voyelle écrite dans les premiers manuscrits a induit un certain éloignement de la pronociation exacte des sourates au fil du temps, les changements sémantiques ont également insensiblement fait dériver notre compréhension des récits de la genèse, à mesure de l'éloignement du bassin anthropologique de son lieu de création. 


(41:9-14)  "Dis :'Renierez-vous [l’existence] de celui qui a créé la terre en deux jours et lui donnerez-vous des égaux ? Tel est le Seigneur de l’univers, c’est Lui qui a fait des anceages dedans par dessus d’elle, l’a bénie et lui assigna ses ressources alimentaires en quatre jours d’égale durée. [Telle est la réponse] à ceux qui t’interrogent. Il s’est ensuite adressé au ciel qui était alors en fumée et lui dit, ainsi qu’à la Terre : - 'Venez tous deux, bon gré, mal gré'. Tous deux dirent : 'Nous venons obéissants'. Il décréta d’en faire sept cieux en deux jours et révéla à chaque ciel sa fonction. Et nous avons décoré le ciel le plus proche de lampes [étoiles] et l’avons protégé. Tel est l’Ordre établi par le puissant, l’omniscient."

"Votre Seigneur, c’est Allah, qui a créé les cieux et la terre en six jours." (7:54) "Votre Seigneur, c’est Allah, qui a créé les cieux et la terre en six jours." (10:3) "Et c’est Lui qui a créé les cieux et la terre en six jours." (11:7) "C’est Lui qui, en six jours, a créé les cieux, la terre et tout ce qui existe entre eux." (25:59) 


Les chiffres figurant dans ces versets avaient un sens très particulier dans la sémantique des peuples Sémitiques. Ainsi :

□deux : signale la création (mâle/femelle), (nuit/jour), (terre/ciel), ...
□quatre : signe de la Terre (Nord\Sud\Ouest\Est), (eau\feu\terre\air), ...
□six  : signe de la complétude ( tête\tronc\deux bras\deux jambes), ...
□sept : signe de la perfection, du grand nombre.

De même le nombre : mille, signifie par ailleurs la grandeur du nombre dans de nombreuses civilisations, et chez les peuples sémitiques aussi.

Si ces chiffres sont compris dans le sens numérique, les versets fondés sur la création parfaite par la main de Dieu sont mécompris et nous nous éloignons loin du sens originel visé dans ces récits. Une telle lecture dénudée de l'arrière plan sémantique de ces récits perd toute scientificité et nous empêche de comprendre ceux-ci comme le voulait leur auteur. Ces nombres n'ont pas nécessairement une visée quantitative et sont une trace très ancienne d'une rhétorique sémitique oubliée par les lecteurs non initiés au sujet de la linguistique et de la littérature Antique.

"La création des septs cieux en six jours" signifiait à l'époque dans les esprits "le parachèvement des cieux de façon parfaite", sans inquiétude sur la durée de cette création ou les détails de cette genèse. De même, la création par tranches de deux jours ne visait pas spécialement une idée chronologique, mais l'idée de la création qui continue par étapes. Tandis que la formation de la Terre en quatre jours signalait la genèse de la Terre-même dans un style indifférent de la durée de cette création. Par ailleurs, le terme Yawm rendu par jour ne signifiait pas dans ces passages une durée de 24 heures dans la sémantique de l'époque, un jour pouvant durer comme 1.000 ans, voire comme 50.000 ans.



Il faut lire les récits de la genèse dans la sémantique et selon la rhétorique sémitique ancienne pour les comprendre comme les anciens. La lecture de ceux-ci dans la logique moderne soucieuse des durées et de la chronologie génère une altération dans la bonne compéhension du sens visé lors de leur rédaction.


III. Récit de Noé et L'Âge du Patriarche :

Il est notoire que le Coran ignore la notion de Déluge (هطول) et utilise plutôt le terme طوفان signifiant simplement inondation. Ainsi, de nombreuses confusion du récit de Noé selon le Coran et la version post-massorétique de la Bible sont monnaie courrante. Le Coran ignore également la notion d'Arche ou de Coffre et décrit une modeste embarcation par les termes سفينة et فلك. L'idée d'un engin hyper sophistiqué hermétique de la version biblique étant très éloignée du récit coranique de l'inondation.

Au verset (54:13) l'embarcation est décrite ainsi : "وحملناه على ذات الواح ودسر". Ce qui signifie "la chose faite de branches et d'étoupe". Tandis que les passagers de ce modeste radeau sont décrits d'une façon également très éloignée de la version biblique, réécrite sous l'influence culturelle babylonienne selon les versions sumériennes. Quoi que cela soit traduit par "charge de chaque espèce une paire", les termes exactes sont bien "acceptes-y de chaque paire un couple". Autrement dit, l'idée d'espèce encore inexistante au Moyen-Âge sur une influence de la lecture moderne du récit, alors que le verset évoque vaguement des paires d'animaux sans d'autre précision, et de les accepter sur son embarcation par couples. Ainsi il apparait que la version coranique ante-massorétique ou endémique de l'Arabie préislamique mentionne une modeste embarcation faite de branches et d'étoupe ( دسر ) : (54:13). Le radeau s'élève avec l'inondation, et Noé accepte les animaux qui s'y accrochent par couples rejetant tout autre bête. Ainsi, l'un de ses fils croisé lors de la montée des eaux est appelé à y monter, mais il reffuse et une vague l'emporte pendant la discussion.

(12:42-43) : "Et elle vogua en les emportant au milieu des vagues comme des montagnes. Et Noé appela son fils, qui restait en un lieu écarté : 'Ô mon enfant, monte avec nous et ne reste pas avec les mécréants'. Il répondit : 'Je vais me réfugier vers un mont qui me protègera de l’eau'. Et Noé lui dit : 'Il n’y a aujourd’hui aucun protecteur contre l’ordre d’Allah. (Tous périront) sauf celui à qui Il fait miséricorde'. Et les vagues s’interposèrent entre les deux, et le fils fut alors du nombre des noyés."


D'après le récit du Coran, l'embarcation de Noé ressemblait à un radeau de ce genre.


Ce passage et d'autres emploient le terme حمل. Ce terme signifie l'idée de prendre avec, ou de charger. Par ailleurs le terme جبل qui dépeint les vagues comme des montagnes, n'est pas spécifique au récit de Noé dans le Coran. Il s'agit de la forme des vagues, et non de leurs dimensions. Le mot  جبل désigne par ailleurs en arabe toute monticule, et est rarement utilisé pour les plus grandes chaines de montagnes que le Coran désigne alors par les termes طور.

Un autre point à recontextualiser dans la sémantique et la logique ancienne est la longévité de Noé, décrite dans le Coran comme étant de "mille ans amputés de cinquante années". Or, un autre verset éclaire ce sujet par les termes : "un rappel que toute oreille fidèle conserve".

(69:11-12) : "C’est Nous qui, quand l’eau déborda, vous avons chargés sur l’Arche afin d’en faire pour vous un rappel que toute oreille fidèle conserve."


Point important, car la transmission du récit par les oreilles fidèles, signifie que cette longévité de Noé est conservée dans les termes ancestraux de génération en génération (cf phylogénie mythologique). Cela a toute son importance, de par la question du calendrier en usage au moment de la rédaction de ce récit. Or, chez les peuplades nomades, les saisons n'ayant pas d'importance, le calendrier se basait uniquement sur les cycles lunaires, en sorte que l'on comptait l'âge des souverains en cycles lunaires. Ainsi, les sumériens comptaient aussi l'âge des monarques et nombre de cylces lunaires. Et cela se constate sur les plus anciennes tombes sumériennes. Un tel usage calendaire, tombé dans l'oubli continue néanmoins d'exister chez certaines tribus archaïques d'Amazonie vivant de pêche et de cueillette. Néanmoins, 950 mois correspondent à 79 années dans le système de calendrier moderne. Et cet âge était un âge très avancé dans le passé. La découverte archéologique de ce type de comput chez les sumériens consolide cette lecture de façon tranchante. Pareillement, le verset  ; (19:25) : "ils demeurèrent dans leur caverne trois cents ans et en ajoutèrent neuf" : décrit les versions divergentes au sujet des jeunes dormeurs, et la version du rajout de neuf ans signale de calibrage entre le calendrier solaire et le calendrier luni-solaire chez certains narrateurs. Ainsi, une personne actuelle ayant 90 ans selon le calendrier solaire, a 94 ans et 4 mois selon le calendrier lunaire.


IV. Structure du Coran et Rhétorique Sémitique :

Le lecteur moderne du Coran aura une forte impression d'un ouvrage décousu, sans structure logique ou fil conducteur. Il aura l'impression que les sujets s'interrompent d'une façon chaotique. Et même les grands exégètes classiques ont cherché à établir des fils conducteurs, mais en vain. Or, la relecture scientifique fondée sur les connaissances en rhétorique sémitique a permis de démontrer de façon scientifique, que le Coran est au contraire régi par une organisation et une structure logique extrêmement rigoureuse. Les sourates étant organisées par sous-parties thématiques organisées selon un jeu de symétries sophistiqué, de même que l'ordre des sourates, les unes par rapport aux autres. À la suite de Roland Meynet au sujet de la rhétorique sémitique biblique, Michel Cuypers l'ayant appliquée au Coran, a démontré et redécouvert des structures logiques oubliées et exposé sourate par sourate, la symétrie interne thématique de nombreuses sourates. Pour donner une idée partielle à ce sujet, développons un peu cette question de symétries thématiques typiques de la rhétorique sémitique.

Les symétries des sous-thèmes des sourates sont organisées du genre : A\B B\A ou encore A\B\C A'\B'\C' en sorte qu'une logique d'arrière plan organise l'ensemble selon une symétrie complexe et rigoureuse à plusieurs niveaux. Donnons un exemple, la sourate Joseph :

a.Joseph voit un rêve. b.Son père le met en garde. c.Ses frères lui tendent un piège. d.Il est retiré du puis. d'.Il est emprisonné. c.Il tend un piège à ses frères. b.Il ramène son père. a.Son rêve se concrétise.

Ce type de structure de récit typique des peuples sémitiques de l'Antiquité est tombé en désuétude avec la dégradation de la langue arabe par acculturation, en sorte que même les plus anciens exégètes en ignoraient jusqu'à l'existence.

Cette découverte scientifique démontre par ailleurs de façon vérifiable, que la version actuelle voyellisée d'après la réforme de l'écriture arabe est très fidèle à la version d'origine. Puisque la conformité du corpus consonantique de celui-ci est conforté par les manuscrits de Sana'a les plus anciens datés de l'époque du Prophète et des premiers Caliphes, et vu qu'une réécriture des sourates sur une base consonnantique en sorte d'en créer ces structures rigoureuses aurait été une mission improbable, d'autant plus que cette forme de rhétorique était dès lors déjà tombée en désuétude et était ignorée même des plus anciens ouvrages d'exégèse. Lors de la compilation du Coran, l'ordre des versets a été scrupuleusement conservé [2]

La plupart des racines des mots en langue arabe étant polysémiques, et les voyelles ne s'écrivant pas encore du temps du Messager, ce système de composition jouait un rôle central pour se fixer sur le sens visé par chaque terme, en regard de sa position dans l'ensemble du texte étudié. L'émulation générée par ces jeux de miroirs sémantiques émoustillant l'esprit des orateurs, leur rythmique accentuant l'amplitude de ces sensations, l'impact phonétique des consonnes entrant en harmonie étaient très prisés chez les arabes, au coeur du paysage désertique du hijaz. 


V. Les lettres isolées des débuts de sourates :

Un autre point qui est une caractéristique sémitique est la présence de lettres isolées en débuts de certaines sourates. Historiquement les lettres de l'alphabet arabe consistaient en des hiéroglyphes, des images d'objets déterminant les consonnes par leur prononciation, et servant à représenter les idées à véhiculer. Ainsi le Alif représentait un taureau, et par là l'idée de force, de puissance... Le Ba représentait une demeure, symbolisant l'idée de localité, d'abri, etc. Il est remarquable que cette symbolique oubliée des lettres arabes employées en débuts de sourates sont en harmonie avec les sourates dont elles annoncent l'orientation. Cette synergie entre ces lettres isolées et le message des sourates, et dont l'origine était oubliée, tout comme la structure en poupées russes, et d'une grande profondeur dans la maîtrise de cette langue est la marque du contenu hors pair du Coran. 


V.a. Liste des muqatta'at par sourate :

SOURATE
LETTRES
al-Baqarah
ʾAlif Lām Mīm الم
Āl Imrān
ʾAlif Lām Mīm الم
al-Aʿrāf
ʾAlif Lām Mīm Ṣād المص
Yūnus
ʾAlif Lām Rā الر
Hūd
ʾAlif Lām Rā الر
Yūsuf
ʾAlif Lām Rā الر
Ar-Raʿd
ʾAlif Lām Mīm Rā المر
Ibrāhīm
ʾAlif Lām Rā الر
al-Ḥijr
ʾAlif Lām Rā الر
Maryam
Kāf Hā Yā ʿAin Ṣād كهيعص
Ṭāʾ Hāʾ
Ṭā Hā طه
ash-Shuʿārāʾ
Ṭā Sīn Mīm طسم
an-Naml
Ṭāʾ Sīn طس
al-Qaṣaṣ
Ṭā Sīn Mīm طسم
al-ʿAnkabūt
ʾAlif Lām Mīm الم
ar-Rūm
ʾAlif Lām Mīm الم
Luqmān
ʾAlif Lām Mīm الم
as-Sajdah
ʾAlif Lām Mīm الم
Yāʾ Sīn
Yā Sīn يس
Ṣād
Ṣād ص
Ghāfir
Ḥā Mīm حم
Fuṣṣilat
Ḥā Mīm حم
ash-Shūrá
Ḥā Mīm; ʿAin Sīn Qāf حم عسق
Az-Zukhruf
Ḥā Mīm حم
Al Dukhān
Ḥā Mīm حم
al-Jāthiya
Ḥā Mīm حم
al-Aḥqāf
Ḥā Mīm حم
Qāf
Qāf ق
Al-Qalam
Nūn ن




V.b. Symbolisme oubliée de ces lettres :

  1. Taureau-Bâton-Eau ---------------------------- Le Puissant guide à la science ---------------------- الم
  2. Taureau-Bâton-Eau-Papyrus ------------- Le Puissant guide à la science par l'écriture------ المص
  3. Taureau-Bâton-Eau-Tête --------------- Le Puissant guide à la science par la raison ---------- المر
  4. Taureau-Bâton-Tête -------------------------- Le Puissant enseigne la raison ----------------------- الر
  5. Paume-Fenêtre-Main-Oeil-Papyrus ------- Transmission de savoirs cachés ---------------- كهيعص
  6. Marque-Fenêtre --------------------------------- Connaissances  à conserver ------------------------ طه
  7. Marque-Poisson ------------------------------- Conservation de sagesses --------------------------- طس
  8. Marque-Poisson-Eau ------------------------ Protection de sagesses et de savoirs ----------------- طسم
  9. Main-Poisson ---------------------------------------- Don de la vie ------------------------------------- يس
  10. Papyrus  ----------------------------------------------- Enseignement ------------------------------------ ص
  11. Mur-Eau ------------------------------------------- Protéger la science --------------------------------- حم
  12. Mur-eau-Oeil-Poisson-Aiguille ----- Transmissions de connaissances à protéger --------- حم عسق
  13. Aiguille ------------------------------------------------------ Relier ----------------------------------------- ق
  14. Serpent ------------------------------------------- Savoir, sagesse, protection ---------------------------- ن

On note l'évidence du symbolisme lié à la transmission et à la conservation de savoirs. Plus finement, le symbolisme des lettres d'introduction sont en synergie avec les thématiques des sourates où elles sont usitées. 






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[1] En fait, cette analyse débordera du stricte cadre de l'étude du corpus du Coran, pour s'étendre dans la littérature arabe médiévale, et vers les textes anciens rédigés dans des langues soeurs telles que l'araméen, ou l'hébreu, dans la quête du sens primitif des mots partagés par ces langues.

[2] Ibn Zubaïr a demandé à Uthmān : « Ce verset {Ceux d’entre vous que la mort frappe et qui laissent les épouses, doivent laisser un testament en faveur de leurs épouses} a été modifié par l’autre verset. Pourquo le laisses-tu dans l'écrit ? » Uthmān lui répondit : « Mon neveu ! Je ne bougerai rien de son emplacement. » (al-Bukhāri)